La Croatie sur la ligne d'arrivée (imaginaire) de l'UE
Quand il est midi à Budapest, quelle heure est-il à... Zagreb?
Les prochains élargissements de l'Union Européenne (UE) semblent suspendus à des lignes imaginaires tracées sur l'eau. Au nord, on redoute de plus en plus les négociations sur la zone de pêche islandaise comme l'ultime écueil qui pourrait faire échouer l'adhésion éclair de l'île. Au sud, c'est donc la Croatie qui devrait devenir le 28e Etat-membre début 2012. A condition que les lignes imaginées pour partager la baie de Piran soient avalisées par tous. Et en premier lieu par les électeurs slovènes.
Sur les ruines de la Yougoslavie, 19 ans après
C'est un pari risqué qu'a pris le Parlement de Ljubljana. A l'unanimité, les députés ont décidé, le 3 mai, d'organiser un référendum sur la question de l'établissement d'un comité d'arbitrage international, chargé de trancher le conflit vieux de 19 ans qui oppose Slovènes et Croates. Cette décision intervient après le refus, le 19 avril, de l'opposition de centre-droit d'avaliser l'adoption de la loi créant le comité.
Au centre de la controverse, une zone maritime représentant 1% de la frontière entre les deux pays qui détermine l'accès de la Slovénie aux eaux internationales de la mer Adriatique. Un sujet d'un intérêt national vital pour les Slovènes.
Et par répercussion, un problème essentiel pour la Croatie dans sa marche à l'UE. Disposant d'un droit de veto au Conseil des ministres, Ljubljana avait déjà bloqué les négociations d'adhésion de Zagreb en décembre 2008. L'affaire est en effet très politisée en Slovénie, et ce d’avantage encore après un accord trouvé en septembre 2009 pour déconnecter Piran de l'adhésion de la Croatie. L'ouverture de trois nouveaux chapitres de négociations avait été retardée par Ljubljana en décembre. Le référendum de juin pourrait de nouveau gripper la machine: si les électeurs refusent l'arbitrage international, le Parlement se devra de reconsidérer la loi et donc de renégocier un accord bilatéral avec les Croates. Sans compter que l'opposition slovène exigerait la démission du gouvernement en cas d'échec.
Un futur Etat-membre prometteur
Pourtant Zagreb toque déjà à la porte d'entrée de l'Union, près de 5 ans après être devenue candidate. Après de sérieux progrès dans les négociations au cours des derniers mois, le commissaire à l'élargissement, Stefan Füle, a déclaré fin mars dernier qu'aucun mécanisme de contrôle ne sera nécessaire pour suivre l'évolution du pays après son adhésion, comme cela est encore le cas pour la Roumanie et la Bulgarie. La coopération avec la Cour Pénale Internationale dans la traque des anciens criminels de guerre est maintenant solide, malgré quelques réserves de la part de La Haye sur l'accès à des documents d'archive. Malgré la crise, l'économie de marché semble bien implantée et relativement stable: le PIB par habitant est comparable à celui de la Hongrie et le pays n'a souffert “que” d'une baisse de 5,8% de son PIB en 2009 (contre -6,3% en Hongrie et -7,8% en Slovénie). De même, l'inflation est maîtrisée, aux alentours de 2% depuis début 2010.
L'élargissement de l'UE à la Croatie marquerait donc une nouvelle étape pour la région et pour l'Union elle-même. Hormis des avantages concrets pour les Croates, l'Union étendra ainsi son influence autour de la mer Adriatique, transformée graduellement en “Mare Nostrum”, ce qui devrait en faciliter l'aménagement et rendre du même coup la controverse autour de la baie de Piran sans fondement. Après les vagues d'adhésion en bloc à laquelle l'UE est habituée, l'entrée de la Croatie ouvrirait aussi un cycle de négociations «pays par pays», qui concernerait, à terme, chaque pays ex-yougoslave. Et dans cette perspective, le gouvernement croate a déjà fait savoir qu'il n'utiliserait pas son appartenance à l'UE comme moyen de pression dans les multiples querelles frontalières encore existantes. Un engagement à confirmer une fois l'adhésion achevée.
Et la Hongrie?
Vu de Budapest, l'élargissement de l'UE à la Croatie peut être particulièrement profitable. Le pays se retrouvera un peu plus au cœur de l'Union en Europe centrale en se déchargeant d'une partie de sa responsabilité de frontière extérieure de l'UE. Grâce à la liberté de circulation garantie par le marché intérieur, les Hongrois retrouveront un accès direct et sans frontières à la mer Adriatique qu'ils avaient perdu en 1918-20. L'impact sur le commerce et les investissements extérieurs hongrois en serait très positif.
Sébastien Gober
D'autant que les relations entre les deux pays sont au beau fixe. Après avoir rencontré son homologue Josipovic le 18 avril, le président Solyom a réitéré son désir d’achever les négociations d'adhésion pendant la présidence hongroise de l'UE. Et il est peu probable que Viktor Orban, nouveau Premier Ministre, renie cet engagement, étant donné les bonnes relations qu'il entretenait avec la Croatie pendant son premier mandat (1998-2002). Si aucune ligne imaginaire ne vient contrarier ces perspectives, l'adhésion de la Croatie s'annonce donc réellement positive.