La course aux signatures
La campagne électorale, lente à se mettre en place, s’est accéléré ces dernières semaines avec la collecte des bulletins de recommandation électoraux, premiers challenges pour les partis et porte d’entrée obligatoire pour les candidats aux élections législatives.
750 bulletins, c’est le nombre de recommandations électorales dont un candidat doit disposer dans la circonscription où il souhaite se présenter. Soit autant de supporters qui, en signant ces précieux bulletins, représentent une garantie de crédibilité et un soutien à ces futurs représentants politiques. Mais, à l’instar de nombreuses mesures introduites lors du changement de système politique il y a 20 ans, ce système ne répond plus aux besoins actuels et soulève des questions constitutionnelles et morales. Or la rénovation du système électorale hongrois s’avère aussi complexe – et nécessaire – que celle du financement des partis politiques ou la modification du nombre de députés parlementaires, proportionnellement le plus élevé en Europe. Malgré les scandales successifs et les promesses de soulever ces questions devant le Parlement, il n’est toujours pas remis en question.
Un système vieux de 20 ans
En 1989, les bulletins de recommandation électoraux ont été introduits pour créer un système politique proche de la société, basé sur l’interaction et les relations personnelles entre les partis et leurs électeurs. Au nom de la démocratie participative, cette volonté initiale manifestait le désir de maintenir l’enthousiasme politique des électeurs après les premières années exaltées de la IIIe République et de les informer de vive voix sur les programmes des différents partis. Aujourd’hui le système des bulletins est un moyen pour les partis de constituer des bases de données électorales illégales et de réduire les chances des petits partis, manquant d’infrastructures et de bénévoles, ce qui conduit à remettre en cause la notion de pluralisme parlementaire. D’autre part, c’est aussi un moyen pour les partis leaders d’élargir de plus en plus leur base populaire, de démontrer les rapports de force en jeu et de dresser un tableau de leurs électeurs potentiels.
Malgré les ambiguïtés que reflète ce système, les bulletins sont désormais la base du régime électoral hongrois car ces documents de recommandation, dont disposent les candidats à titre individuel, permettent aux partis d’élaborer des listes territoriales et nationales.
Pour pouvoir se présenter aux élections dans chaque circonscription, les candidats, vaisseaux unitaires de la flotte des partis nationaux, doivent collecter 750 bulletins électoraux. Pour présenter une liste territoriale, un parti doit pouvoir disposer de candidats dans au moins 25% des circonscriptions et, dans le cadre d’une liste nationale, les partis doivent cumuler au minimum 7 listes territoriales. Chaque électeur dispose d’un seul bulletin, qu’il reçoit par la poste, où il indique le nom du candidat soutenu et qu’il doit impérativement signer. Il peut ensuite le déposer dans les centres électoraux ou le donner directement à son candidat favori ou à des bénévoles qui, en ce début de campagne, font du porte à porte sur tout le territoire afin de collecter ces bulletins. C’est ainsi à une véritable course que s’adonnent les partis car plus un parti collecte de bulletins, moins il en restera aux autres. La date limite de la collecte des signatures est fixée au 19 mars. L’enjeu est d’autant plus sérieux que l’accès aux fonds publics, sources de financement des partis politiques, ne peut être accordé qu’à condition, après avoir établi une liste nationale, d’obtenir 1% des votes lors des élections. C’est pourquoi l'existence même des petits partis est remise en cause par ce système. Il faut noter en outre que la loi réglemente également le mode de collecte des bulletins. Il est en effet illégal de les recueillir pendant les heures et sur les lieux de travail, de proposer la moindre contrepartie en échange de ces bulletins, de les copier ou de les utiliser comme source d’informations pour élaborer des bases de données. Or de nombreux candidats proposent que ces documents leur soient remis dans des cafés ou des magasins et, dans plusieurs villes, on évoque la naissance d’un marché noir des bulletins, proposés pour un prix unitaire allant de 500 à 2000 HUF. L’intention affichée par le Fidesz de collecter 2 millions de bulletins soulève ainsi des questions. En effet, pour pouvoir présenter un candidat par circonscription, le nombre des bulletins nécessaires s’élève à 132 000, soit une quantité d’informations similaire à celles des bases de données des statistiques nationales. En avoir 2 millions représente donc un énorme danger du point de vue de la sécurité publique et s’avère par ailleurs totalement inopérant pour prédire le résultat final des élections. Le souhait du Fidesz, qui réfute toute constitution de bases de données illégales, est ainsi de démontrer sa force de conviction et le désir de changement de la société hongroise, évoquent les experts, considérant ces mesures comme une opération de marketing en début de campagne.
Vigilance indispensable
Malgré l’importance des bulletins de recommandation dans le système électoral hongrois, la défense et la sécurité des coordonnées personnelles des électeurs n’est pas garantie en contrepartie. D’une part ces bulletins parviennent aux électeurs par la poste, accompagnés de leur convocation officielle aux élections et d’autre part ils contiennent des coordonnées personnelles très délicates, comme le numéro d’identification et l’adresse personnelle des citoyens, bases des registres fiscaux ou statistiques nationaux. Or de nombreux bulletins sont volés dans les boîtes aux lettres ou falsifiés et commercialisés par la suite sur le marché noir. Outre des problèmes de confidentialité des informations personnelles, des questions constitutionnelles peuvent également être soulevées par ce système car confier son bulletin au représentant d’un groupe politique peut être interprété comme un vote public. Or, en Hongrie, l’un des droits fondamentaux est celui du secret du vote, une garantie importante qui se distingue des pratiques de l’ancien régime politique qui privait les individus de leur liberté de choix. C’est la raison pour laquelle l'ombudsman de la défense des informations privées, Jóri András, vient de publier un avis sur les ambiguïtés du système et projette de soumettre cette question au tribunal constitutionnel après les élections. Jusque là, les électeurs doivent s’en tenir à leur confiance envers les groupes politiques qu’ils soutiennent et espérer qu’il traitent les bulletins de manière sécurisée.
Kata Bors