La collection expropriée

La collection expropriée

Procès autour de l’héritage Sigray

La famille Sigray, qui avait mis sa précieuse collection d'oeuvres d'art à la disposition de musées hongrois afin de la sauver les pillages nazis puis communistes, rencontre désormais des difficultés pour récupérer ses biens.

En 1943, les Allemands n’ont pas encore envahi la Hongrie lorsque le comte Antal Sigray décide de sauver le patrimoine familial, une collection d'oeuvres d'art composée de centaines de peintures, de sculptures, de meubles et d'objets antiques. La meilleure façon de procéder alors était de la prêter à long terme aux musées hongrois. Cet aristocrate, homme politique, célèbre pour avoir protesté contre les choix faits par la Hongrie lors de la IIe guerre mondiale et contre les lois anti-juives a eu raison de prendre ces mesures de précaution car, un an plus tard, il était déporté dans le camp de concentration de Mathausen en tant que détenu politique. Bien qu’il ait survécu à cette épreuve, il est arrivé en Suisse souffrant d’une grave maladie et il est mort à New York deux ans après la fin de la guerre. Sa fille, Margit Sigray, restée en Hongrie, devait à son tour suivre “la tradition familiale” quelques années plus tard, lorsque, par crainte de la collectivisation, elle mit à l’abri le reste de l’héritage familial dans les musées hongrois à l'époque du régime communiste de Rákosi, dans les années 1950.

Ce sont au total 2000 oeuvres d’art ainsi que des meubles, d’une valeur estimée à plusieurs centaines de millions de HUF, qui ont été prêtés aux collections publiques hongroises dans les années 1940 et 1950. La majorité des ces objets, notamment une bibliothèque composée de 2500 livres, a disparue, cependant les descendants de la famille ont retrouvé quelques centaines d’oeuvres dans six musées hongrois après 1989. A la suite de longues négotiations, le musée Balatoni, le Musée des Sciences Naturelles et le Musée des Beaux Arts ont restitué au total 130 objets. Cependant trois autres institutions, le Musée des Arts Décoratifs, le Musée National et le Musée Helikon à Keszthely, ont décidé de garder les 250 oeuvres déposées dans leurs fonds jusqu’à ce qu’un jugement exécutoire ne les oblige à les restituer. Au début des années 2000, les héritiers ont promis que si les musées rendent les objets, ils leur fairaient don d’une partie d’entre eux en retour, promesse réitérée en 2007 mais, à chaque fois, les réponses furent négatives.

C’est pourquoi les héritiers Sigray ont entamé des procès tests, menés pour la récupération d'un objet dans chaque musée, procès qu’ils ont gagnés à chaque fois, le dernier pour un fauteuil concervé au Musée des Arts Décoratifs en septembre. Cependant, cela n’oblige pas les intsitutions à restituer le reste de la collection, de plus elles se décident difficilement à obéir à ces décisions de justice et à rendre ces objets. En effet, le Musée National n’a renoncé à une toile du XVIIe siècle que deux ans après la décision juridique, lorsqu'un mandataire est allé cherché le tableau auprès du directeur. En septembre 2009, ce sont encore 14 toiles, actuellement stockées au Musée National, que la justice a décidé de restituer à la famille Sigray. Le Musée Helikon de Keszthely a rendu une sculpture à la suite d’un jugement rendu en avril, cependant encore 90 meubles et objets restent au sein de l’institution. «Les musées devraient comprendre qu’il serait absurde de débuter un procès pour chaque objet» – a déclaré l’avocat des hériters, Géza Patay, dans une interview donnée au quotidien Népszabadság, car, explique-t-il, à chaque fois les musées, ainsi que les contribuables, couvrent les frais de ces poursuites judiciaires. De plus, les musées n’ont presque jamais exposé ces objets, qui attendent de connaître leur sort, cachés dans les profondeurs des dépôts.

Judit Zeisler

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