La chronique de Dénes Baracs. Échos de la francophonie

La chronique de Dénes Baracs. Échos de la francophonie

Réformes

 

S’il existe une notion historique qui dans notre pensée est liée à la France, c’est la révolution: la prise de la Bastille, les foules enthousiastes, cette figure de femme avec le drapeau de la liberté dans sa main, l’élan libérateur qui brise l’ancien régime... Pourtant, le mot a un sens plus modeste mais également important: “un changement brusque qui peut être économique, moral, culturel dans une société et qui a des répercussions importantes et durables sur la vie de ses membres”, comme l’explique la vénérable encyclopédie Larousse. Et elle n’est pas forcément liée aux définitions classiques de la gauche et de la droite.

Mais pour changer, il ne faut pas toujours aller jusqu’à la révolution, qui est une opération douloureuse et coûteuse : cette fois, Paris nous a présenté son alternative, la réforme, qui - toujours selon le Larousse - est aussi “un changement profond et radical, apporté particulièrement à une institution et qui vise à améliorer son fonctionnement, ses résultats”. Et voilà le nouveau président français qui nous a servi cette recette durant sa brève visite à Budapest le mois dernier : une solution (ou plutôt des solutions) qu’il préconise pour son propre pays et pour l’Europe entière.

Ce qui est commun à la révolution et la réforme, c’est la nécessité du changement - ce qui veut dire que ce qui existe ne fonctionne plus bien. La Hongrie, nouveau membre de l’Union européenne a hérité des structures économico-sociales qui ont été créées dans une société qui, pour longtemps, nous berça d’illusions en nous faisant croire que l’on pouvait ignorer ou changer librement les lois du marché. Nous avons travaillé pour un salaire dérisoire mais les soins médicaux étaient gratuits (en apparence, puisqu’en fait tout le monde considérait qu’il fallait payer d’une façon ou d’une autre à titre privé ces soins ou plutôt ceux qui les dispensaient.) On cotise peu à la caisse des retraites et en plus un tiers des employés ne déclare qu’un salaire minimal. En conséquence, la pension reste insuffisante pour beaucoup de gens. De plus, avec le vieillissement de la population et à défaut d’une réforme structurelle il sera même impossible de financer cette caisse de retraite.

Ce qui peut nous surprendre, c’est que la France opulente et développée, puisse être confrontée à des situations un peu similaires. Déficits des systèmes de santé, de retraite, ce qui s’explique aussi par les succès des sciences médicales - nous vivons heureusement plus longtemps dans la vieille Europe, mais le prix à payer pour ce progrès devient toujours plus exorbitant. En plus, voilà les problèmes de compétitivité qui arrivent avec la mondialisation: elle fait disparaître les distances et facilite les délocalisations, ce qui mène au ralentissement du développement économique des 27. Les acquis sociaux, comme les 35 heures introduites durant les derniers gouvernements socialistes en France et les mesures similaires, sont mis à l’épreuve parce qu’ils sont difficilement finançables et réduisent la compétitivité de la France, et comme nous l’avons vu dernièrement, de toute l’Europe... (Même si la majorité des nouveaux membres de l’UE maintient - encore ? - un rythme plus élevé...)

Confrontés à ces défis, les réactions furent tout de même différentes. En Hongrie (et chez certains de nos voisins), lors des élections enfin libres la surenchère souvent populiste des partis politiques a généré des promesses ultra généreuses (justifiées aux yeux de la majorité des électeurs par l’équité sociale et par notre retard historique). Les socialistes vainqueurs en 2002 ont tenu leur parole (chose rare en politique), mais au grand dam des finances du pays, ce qu’ils ont essayé de camoufler pendant longtemps, d’autant plus que l’opposition a encore redoublé ses promesses. Ce fut seulement après un autre combat électoral (gagné encore une fois par les socialistes) que le premier ministre Gyurcsány dut d’abord avouer le gâchis aux élus de son parti, puis au pays tout entier, préconisant enfin des réformes en profondeur. Cela a pourtant provoqué une réaction violente de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire et a rendu tout dialogue quasi impossible, et la réalisation des réformes préconisées encore plus difficile.

En France, l’acceptation d’un changement inévitable devait aussi heurter beaucoup d’intérêts. Pendant des décennies les différents gouvernements de gauche et de droite ont bien sûr réalisé sa nécessité mais avec l’approche des échéances électorales les initiatives de correction ont été maintes fois reportées, et les finances du pays en ont souffert aussi. C’est ainsi que le candidat qui a réussi à d’abord réformer son propre camp, Nicolas Sarkozy, a pu faire campagne en préconisant des réformes peu populaires mais nécessaires: révision des 35 heures pour ceux qui voudraient travailler plus et réforme des régimes de retraite spéciaux (qui ont assuré, notamment, aux mineurs, cheminots, mais aussi aux acteurs et danseurs etc. des avantages qui ont été justifiés en leur temps mais maintenant ne sont plus tenables et heurtent le sens de justice de la société), la réduction du nombre des fonctionnaires etc. Les électeurs ont eu le choix entre Nicolas Sarkozy qui a promis ces réformes certes douloureuses et Ségolène Royal qui a fait campagne en défense des 35 heures et des autres acquis. Ils ont tranché et Sarkozy peut – et doit - maintenant se mettre au travail pour réaliser ce qu’il a préconisé.

Une majorité de l’opinion publique l’appuie toujours, et il a même obtenu la collaboration de certains anciens dirigeants socialistes importants qui sont entrés dans son gouvernement: il sait bien que pour réussir on a besoin de l’appui de la société. Mais la lune de miel est passée et il se heurte déjà à la résistance de ceux qui défendent un héritage historique qu’ils considèrent essentiel. Il faut donc que les réformes aient des retombées positives aussi, au moins à moyen terme. Mais sans réformes, sans économies, sans la transformation des structures de l’État, même la France, si riche, si développée serait condamnée au déclin face aux défis de notre monde „mondialisé”. C’est pour cette raison que notre hôte a répété sans cesse: “les réformes sont indispensables”.

Ce qui est presqu’une révolution, tout de même. Une raison de plus pour que nous nous tournions de nouveau vers Paris.

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