La censure et l’autocensure dans le monde
Rencontre avec les historiens François Cadilhon et Philippe Chassaigne au colloque international de Bordeaux.
L’histoire de la censure est étroitement liée à l’histoire des livres, de la presse, mais couvre l’ensemble de la production culturelle y compris le cinéma. En Hongrie, c’est au siècle des Lumières qu’un texte emblématique sur la censure fut édité en latin dont l’auteur, jacobin, Martinovics a gardé le secret jusqu’à son exécution.
L’Université de Bordeaux 3 et les Archives départementales de la Gironde ont accueilli un colloque international dédiée à la censure.
C’est l’aspect international qui est le plus important - a souligné le Professeur Cadilhon. Comment les pays du Moyen Orient regardent actuellement ce qui se passe dans les pays Occidentaux – des tentatives d’interdire certains œuvres artistiques de dimension blasphématoire peuvent leur servir de modèle. Il est intéressant de voir s’il y a une régression de la censure sur le long terme avec les avancés de la liberté d’expression. Nous savons qu’en Chine la censure est très présente. Les étudiants chinois inscrits à l’Université de Bordeaux ont ainsi pu entendre parler de phénomènes évoqués par Philippe Chassaigne encore tabous dans leur pays. Il a évoqué l’interdisciplinarité, l’aspect psychologique, et comment le développement de la culture de masse, du cinéma, touche le public. Jacques Portes a parlé d’une autre forme de censure présente dans les films américains : comment s’accommoder de la censure – et que par conséquent comment tout le cinéma classique américain avec ses grands succès est « passé sous les fourches caudines du code d’autocensure des producteurs d’Hollywood. »
Comment la censure et même l’autocensure apparaissent-elles dans les éditions de La Religieuse de Diderot et dans ses adaptations au cinéma ? C’ Michel Figeac de l’Université de Bordeaux 3 nous a présenté toutes les contraintes de la sortie de ce livre et de ces adaptations. Car Diderot lui-même avait conscience du pouvoir corrosif de son œuvre, « effrayante satire des couvents ». Le film de Rivette sortit quelques mois avant 1968, autour de La Religieuse une affaire-clé qui marqua la fin de l’autoritarisme culturel en France. C’était l’époque où Jean-Luc Godard écrivit à Malraux pour obtenir la grâce d’un film condamné à mort par la censure. En 2013, la sortie feutrée de la nouvelle adaptation réalisée par Guillaume Nicloux est le reflet d’une profonde évolution sociétale. Les conditions ont changé, mais le réalisateur a tourné le film en Allemagne et c’est au Festival de Berlin qu’il a été présenté. Le réalisateur a découvert ce roman très tôt, il « entrevoyait Sade dont Diderot figure le versant intellectuel... » Ilona Kovács a évoqué Sade et la censure. Elle est Hongroise, spécialiste de la littérature du 18ème siècle et des œuvres de Sade dont certaines ont été traduites également par elle. Traduire ces œuvres dans un pays où la liberté de la presse est récente et où il fallait réinventer le langage des libertins – quelques fois sans antécédents – fut difficile. Elle a évoqué les infortunes de Sade dues à la censure et en France et en Hongrie où il passait pour un tabou absolu jusqu’à l’année 1989. Au moment du changement du régime un déferlement des écrits interdits s’est produit sur le marché des livres.
Le colloque a réussi à explorer toute la richesse du tabou et de la censure par des conférenciers venus des quatre coins du monde, de l’Université Jagellonne de Cracovie en passant par l’Espagne et le Maroc parcourant plusieurs siècles de l’histoire jusqu’à nos jours.
Les actes du colloque paraîtront au printemps aux éditions Peter Lang à Bruxelles pour que la problématique de la censure soit accessible dans toutes ses dimensions y compris quelques autres contributions plus spécialement de la région aquitaine comme sur les francs-maçons bordelais ainsi que la proscription du « jésuitisme » à Bordeaux.
Dans le domaine des publications, des colloques et différentes formes d’échanges universitaires on constate une importante coopération entre l’Université d’ELTE de Budapest et l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux 3 qui remonte cette année exactement à 20 ans et qui a permis aux étudiants et universitaires une ouverture sur toute l’Europe centrale et sur l’héritage atlantique de l’Aquitaine.
Éva Vámos
- 2 vues