La Bataille du SzDSz
Le SzDSz, parti de centre-gauche membre de la coalition au pouvoir, s’apprête à élire son nouveau président le 25 mars prochain. Deux candidats se présentent à la succession de Gábor Kuncze : Gábor Fodor et János Kóka, deux personnalités dont l’actuelle bataille politique soulève la question de l’avenir de la démocratie libérale hongroise.
Le SzDSz (Alliance des Démocrates Libres) est membre de la coalition socialo-libérale au pouvoir en Hongrie. Cette coalition reconduite en 2006 avec le MSzP (parti socialiste) est la troisième du nom. Son passé dans la dissidence intellectuelle, la sensibilité de ses dirigeants à la défense des droits de l’homme (notamment celle des minorités ethniques, culturelles, confessionnelles, etc.), son hostilité aux tendances nationalistes, son attachement à la laïcité ainsi que son orientation libérale expliquent sans doute pourquoi le SzDSz s'est éloigné de la droite pour finalement entrer en coalition avec le MSzP en 1994.
Sans son soutien, le gouvernement ne pourrait certainement pas mener à bien les réformes engagées. Car si les tensions au sein de la coalition ne sont pas exclues - on a même pu assister à des querelles au sujet de la réforme structurelle de la Santé Publique -, les coalitions de gauche ont, jusqu’à présent, toujours tenu les quatre années du mandat parlementaire. Une famille, en quelque sorte. Leurs destins sont liés, malgré l’effort des libéraux à montrer de temps à autre la distance qui les sépare du partenaire socialiste.
Parmi les 4 partis politiques représentés au Parlement, le SzDSz est bien le seul où le renouveau du parti témoigne d’une alternative, d’un possible choix de personnes et de perspectives. En effet, chez les socialistes, l’élection du Premier ministre Gyurcsány au poste de président du parti s’est fait sans encombre puisqu’il était le seul candidat à briguer ce poste. Du côté du Fidesz, le grand parti de l’opposition, la position de Viktor Orbán semble inébranlable et chez les conservateurs du centre, il n’est nullement question de changer la direction. En un mot, le SzDSz est actuellement le seul parti au sein duquel les débats autour de cette future alternance reflètent une véritable vie politique.
En effet, la scène politique hongroise fait preuve d’une structure assez rigide et de ce point de vue, le SzDSz représente un certain espoir de changement. Mais l’affrontement des deux candidats ne garantit pas forcément un champ de décision aisé pour les membres du parti.
Qui sont János Kóka et Gábor Fodor?
Les deux candidats présentent des profils tout à fait différents. Fodor, qui était ministre de l’éducation entre 1994 et 1995, est avant tout un intellectuel, un philosophe et probablement le politicien le plus modéré du pays. Kóka est un médecin devenu homme d'affaires. Son idée de la gestion «moderne» du parti équivaut à la gestion d’une entreprise. La carrière politique de Gábor Fodor débute à l’époque du changement de régime dans le Fidesz libéral et avant la radicalisation de celui-ci, époque à laquelle il quitte le parti (en 1993). Kóka, quant à lui, ne rejoint le SzDSz qu’en 2006 et y effectue une carrière rapide et spectaculaire jusqu’à devenir ministre de l’économie dans le gouvernement actuel. Pour lui, devenir président du parti représenterait le pic de sa carrière. Fodor est un «éléphant», mais il a aussi l’avantage d’avoir lu Kant avant de faire de la politique. C’est un vrai politicien et non pas un intellectuel libéral dans l’arrière-cour du parti, comme János Kis par exemple, qui a quitté le parti et enseigne désormais à l’Université d’Europe Centrale (CEU).
János Kóka ressemble plutôt au Premier ministre Ferenc Gyurcsány: un homme d’affaires qui s’investit à proprement parler dans la politique. Ce qui ne manque pas de soulever la question et le concept d’«élite politique» en Hongrie. La Hongrie, contrairement à la France notamment, ne dispose pas de grandes écoles comme l’Ecole Normale Supérieure ou l’Ecole Nationale d’Administration qui forment une élite publique. Les politiciens actuellement au pouvoir en Hongrie sont d’avantage issus d’une élite qui s’est formée aux affaires du capitalisme dans les années 90.
En somme, Fodor représente de façon beaucoup plus crédible l’identité des libéraux, tandis que Kóka a su gagner le soutien des membres du SzDSz et a décidément plus de chances pour prendre les rênes du parti. Ce ne sont pas les analystes politiques qui diront le contraire.
Que proposent Kóka et Fodor pour le SzDSz ?
Si les deux candidats à la présidence du SzDSz communiquent chacun sur la nécessité des réformes et discutent des questions stratégiques que la défaite municipale de l’automne dernier aura suscitées, Janos Kóka accorde une priorité absolue à la politique économique, en des termes qui rappellent grosso modo la période de Thatcher et de Reagan. Il ne dit mot du «capitalisme social» comme le fait Ferenc Gyurcsány et place, au contraire, la distinction entre le social et la sphère capitaliste au centre de son débat, c’est-à-dire la réduction du rôle de l’Etat en faveur du secteur privé. L’aide étatique aux citoyens ne pouvant intervenir que dans des situations extrêmes, lorsque certains citoyens se retrouvent profondément pénalisés par les lois du marché.
Gábor Fodor propose quant à lui l’esquisse d’un marché centré sur les affaires sociales. Pour lui, l’Etat doit assurer l’égalité des chances, être le garant de la solidarité sociale. Fodor dit précisément que Kóka a largement contribué au déficit public dont souffre le pays et que les visions économiques du parti n’ont pas abouti. L’avantage de Fodor aujourd’hui est qu’il n’est pas ministre et n’a pas de comptes à rendre, contrairement à Kóka.
Que veut exactement le SzDSz ?
Le seuil des 5% nécessaire pour entrer à l’Assemblée hante les libéraux depuis 1998. Le but des deux candidats est de construire un parti qui s’assurerait 10% des votes aux cours des législatives de 2010 : une organisation moderne, une influence soulignée des représentations locales du parti, l’intégration appuyée de la jeunesse libérale du pays, un système élaboré de recrutement.
Malheureusement, le parti s’est affaibli dans la capitale qui demeure tout de même son soutien le plus sûr (Gábor Demszky, membre fondateur du parti est le maire de Budapest depuis 1990) et il a perdu beaucoup de maires en province. Sa base est aujourd’hui plutôt mince sans le partenaire socialiste, dont les résultats aux dernières municipales n’offrent pas un très beau tableau non plus.
Ainsi, le débat que mènent les deux candidats pointe l’horizon des 10% en 2010. Mais cette perspective est-elle vraiment crédible ? Ne serait-il pas plus réaliste de s’en tenir à l’identité d’un parti de couche sociale, en misant sur le seuil des 5% ? En effet, les libéraux forment un petit parti dont le soutien s’avère toutefois nécessaire pour un gouvernement de gauche. Qui plus est, l’identité du SzDSz est plutôt complexe : il s’agit du seul parti qui cumule les sujets tabous de la société hongroise, la défense des homosexuels, l’écologie, la tolérance. Etre «libéral», surtout à Budapest, ne signifie pas adopter une position économique et n’a rien à voir avec le libéralisme occidental du FDP allemand ou d’une partie de l’UMP en France. Etre libéral à Budapest, cela veut dire - un peu cyniquement - , “que je ne suis pas antisémite, que je ne veux pas réviser le traité de Versailles et que je parle anglais…“
En somme, l’enjeu actuel peut se résumer de la façon suivante : si Kóka est plus à même de mener une politique pragmatique, Fodor tracerait le contour d’un parti intellectuel dont le risque serait de manquer à l’Assemblée en 2010. Kóka veut une société qui participe à la vie publique selon les règles du marché, mais vu la situation provoquée par les réformes, la société en question risque de ne pas apprécier les règles de Monsieur Kóka.
Pál Planicka
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