Kosovo : reconnaître ou refuser ?
Il y a maintenant plus d’un mois que le Kosovo s’est proclamé indépendant, mais la Hongrie ne l'a reconnu que le 19 mars.
La Hongrie est placée devant un dilemme concernant la reconnaissance du Kosovo. Peu après la proclamation d’indépendance de la province, le 17 février 2008, le ministre des Affaires Étrangères hongrois, Kinga Göncz, a annoncé que le gouvernement était prêt à reconnaître le nouvel État. Mais elle a aussi ajouté qu’il fallait attendre que la législation kosovare garantisse la protection des droits de la minorité serbe.
Le pays est en fait face à un dilemme : s’il rejoint la tendance de la plupart des pays de l’Ouest de l’Europe, c’est-à-dire la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, la relation de la Hongrie et de ses voisins peut mal tourner. En effet la Serbie, la Roumanie, la Slovaquie et l’Ukraine se méfient des conséquences que l’affaire kosovare peut avoir sur les minorités de leur pays – notamment sur la minorité hongroise – et par conséquent n’admettent pas l’indépendance du Kosovo. Ils sont de l’avis que cela peut créer un dangereux précédent car les diverses minorités de ces pays pourraient réclamer leur indépendance ou tout au moins une autonomie plus large. Si l’on tient compte du fait que des millions de Hongrois vivent hors des frontières, l’on peut se faire une idée de l’aspect particulièrement délicat de l’affaire.
La Hongrie ne se presse donc pas. Selon le point de vue officiel de l’Etat, la Hongrie n’a pas reconnu le Kosovo avant le 15 mars pour préserver les minorités hongroises de violences qui pourraient éventuellement survenir lors des commémorations de la fête nationale hongroise à l’étranger, ce qui paraît être un raisonnement sensé. En effet, une organisation d’extrême droite roumaine avait annoncé sa volonté de descendre dans les rues de plusieurs villes roumaines le 15 mars afin de boycotter la commémoration des Hongrois de Roumanie (un jeune homme issu de la minorité hongroise a ainsi été battu par de jeunes Roumains nationalistes lors des commémorations du 15 mars à Kolozsvár). En revanche, selon István Pásztor, président de l’Alliance hongroise de Voïvodine (région du nord de la Serbie où vivent plus de 290 000 Hongrois), il est fort peu probable pour le moment que l’indépendance du Kosovo ait des conséquences significatives à l’égard des minorités. Toutefois, il souligne qu’il faut être prudent dans cette affaire.
Ainsi faut-il considérer plusieurs facteurs. D’une part, la plupart des grands États membres de l’UE ont-ils reconnu l’indépendance du Kosovo, tout comme les États-Unis qui attendent que la Hongrie partage officiellement leur opinion dans cette question. L’ambassadeur américain, April Foley, a même invité les Hongrois à participer au comité chargé de conseiller et d’épauler le Kosovo indépendant, un geste amical de la part des États-Unis à l’égard de la Hongrie qu’il ne serait pas de bon ton de refuser. D’autre part, la Hongrie risque de voir ses relations avec certains pays voisins (ou plus lointains mais de très grande influence, comme la Russie) connaître des tensions certaines – la Serbie a déjà annoncé sa volonté de rappeler ses ambassadeurs des pays qui reconnaissent le Kosovo.
Ainsi, la seule chose qui soit sûre c’est que la Hongrie doit agir selon les intérêts des minorités, mais «comment faire» ?
Quoiqu’il en soit, la Hongrie participera à l’EULEX (la mission qui consiste à remplacer la Force pour le Kosovo [KFOR] dirigée par l'OTAN), comme tous les états membres de l’UE, à l’exception de Malte.
L’affaire présente également un aspect affectif qu’il convient de ne pas négliger. Pour de nombreux Hongrois, le cas du Kosovo est symbolique : il constitue à leurs yeux une juste punition pour la décision de Trianon de 1920, dont la Serbie avait été bénéficiaire au détriment de la Hongrie. Comme on l’entend souvent, l’indépendance de cette province est leur «propre Trianon». En même temps, Csaba Tabajdi, délégué du Parti socialiste hongrois (MSZP), a attiré l’attention sur une tendance contraire: pour les mêmes raisons, l’on peut aussi observer une certaine compassion à l’égard de la Serbie.
L’ex-ministre des Affaires Étrangères, Géza Jeszenszky, a écrit dans le journal Népszabadság que l’on aurait mieux fait de suivre une conception de territoires plus ou moins autonomes dans la Serbie, où toutes les ethnies auraient pu vivre dans l’égalité des droits, et dans de bonnes conditions de vie. Selon lui, plusieurs pays préféreraient ce modèle en Europe. Mais dans l’actuel état des choses son opinion ne paraît pas plus qu’un beau rêve, d’ailleurs très vieux et toujours irréalisable.
Quant au parlement hongrois, aucun des quatre grands partis ne refuse la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, pourvu que les droits des minorités soient respectés...
Tímea Ocskai