Janó Bari, ou les migrations du peintre
Habité par la certitude d’être né peintre, cette vocation est ce qui donne sens à la vie de l’artiste hongrois Janó Bari. Un univers pictural singulier, le tracé d’une voie intérieure caractérisent ses œuvres, qui puisent, entre autres, à la source de ses origines roms.
JFB: Vous avez fait vos premiers pas artistiques très jeune. Vos professeurs de dessin vous ont encouragé, formé, sans avoir pu réellement vous influencer. Il paraît qu’à neuf ans vous avez déclaré n’avoir pas besoin que qui que ce soit vous dise ce que vous aviez à faire ni comment. Vous savez quel est le chemin à parcourir. Quel est-il ce chemin ?
Janó Bari : Mon chemin est là où mon âme, mon corps, mon esprit, mes mains, mes yeux, mes oreilles me mènent. Je pars de moi-même, je vois les rapports entre les choses, les contradictions à l’intérieur de la réalité et j’essaie de les exprimer, de les dessiner, de les peindre. C’est cela ma voie, ma vie : sentir et voir les choses du monde. J’ai la certitude d’être né peintre. Le désir de créer vient de très loin en moi et ne me laisse aucun repos. C’est un peu comme si je devais être à l’école toute ma vie. J’apprends sans cesse en éprouvant les choses, et c’est ce que j’essaie de rendre dans mes images.
JFB: Le fait d’éprouver les choses compte beaucoup dans la vie de chacun. Comment cela se passe-t-il pour vous ? L’expérience, l’observation jouent-elles aussi un rôle important dans la culture et dans l’art ?
J. B. : Pour moi cela signifie vivre les choses, s’en imprégner, être dedans, à l’intérieur de la réalité. On n’agit d’expérience que lorsque l’on découvre quelque chose par soi-même, quelque chose qui est de l’ordre des rapports existant entre les choses. C’est ce que je vis personnellement, et ce que je transporte dans mes œuvres. Voilà ce dont est fait mon chemin, il n’y a que comme ça que je peux rester crédible, envers moi-même et envers le monde. Après, ce sont les gens qui regardent mes tableaux qui décident si je vois de façon juste ou non. Cela me parvient au travers des retours et des commentaires.
JFB: Ces retours sont-ils importants ?
J. B. : Ce qui est important, c’est que ceux qui voient mes tableaux soient marqués d’une certaine façon. Même si mes tableaux ne plaisent pas, je suis content que les gens rencontrent mes pensées. Peut-être qu’à un moment ou un autre de leur vie, l’image du réel tel que je le représente se rappellera à eux. Cela dit, cela ne joue absolument pas sur le désir que j’ai de créer.
JFB: Quel est votre bagage, que transportez-vous de votre passé ?
J. B. : J’ai en moi des images roms, de mes parents, de mon enfance, et tous ces souvenirs sont conservés dans mes tableaux où je les dissimule. Mon père était musicien, très tôt le matin nous nous réveillions en l’entendant travailler son instrument. Après, quand venait l’heure du déjeuner à l’école, les frères Bari s’endormaient à table, nous ne pouvions même pas attendre le repas, nos yeux se fermaient malgré nous.
JFB : Je crois savoir que vous aussi vous vous levez tôt.
J. B. : Oui, c’est peut-être une habitude qui vient de mon passé. Tous les jours je me lève à deux heures du matin, je vais à la cuisine, je fais le café, et je commence à peindre. Mais il arrive que j’aie plutôt envie de prendre un livre d’art et de l’étudier. Je regarde souvent les tableaux avec une loupe, pour mieux voir les couleurs, les lumières. Je n’ai pas fait les Beaux-Arts, je dois acquérir par moi-même tout le savoir encyclopédique et les choses du métier. Depuis de longues années je commence mes journées comme ça. Ma famille s’y est habituée, tout le monde dort encore à cette heure-là et je fais tout pour ne pas les déranger. Je suis sociable, j’aime quand il y a beaucoup de monde autour de moi, mais pour créer, j’ai besoin de solitude.
JFB: Ceux qui vous rencontrent pour la première fois sont impressionnés par votre apparence : vos cheveux vont jusqu’à terre. Est-ce que l’extérieur est important aussi ?
J. B. : Avant, cela avait plus d’importance, c’est différent aujourd’hui. Il y a un bon moment que mon esprit, mon savoir, mes pensées et mes créations me sont plus essentiels. Pour mes cheveux, c’est un cadeau, un don de Dieu. Je ne les ai pas coupés depuis vingt ans, ils mesurent maintenant un mètre soixante-dix et font partie de moi autant que mes mains, que mon regard. C’est comme ça que je suis Janó Bari.
JFB: Où peut-on voir vos tableaux?
J. B. : Je prépare une exposition importante pour le courant du printemps, que j’aimerais également présenter cet été à Öcs, dans La Vallée des Artistes [festival d’arts pluridisciplinaires organisé chaque année entre plusieurs villages à l’ouest de la Hongrie. N.d.T.]. Nous sommes toujours très heureux d’accueillir les gens dans notre maison, avec ma femme qui est artiste elle aussi. Il arrive que soixante ou soixante-dix personnes passent chez nous en une semaine. Des amis, des artistes, des curieux. Vác est à vingt kilomètres à peine de Budapest, si quelqu’un nous rend visite je montre volontiers mes tableaux, et j’aime aussi discuter.
Éva Vass
Traduit par Sophie Aude
Festival Rom , les 20 et 21 avril 2007 au Centre Culturel de Vác (63 Csányi L. u., Vác), organisé par Janó Bari
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