Interview de Moulay Abbes Kadiri

Interview de Moulay Abbes Kadiri

Ambassadeur du Maroc en Hongrie

En poste depuis un an et demi à Budapest après avoir précédemment occupé la même fonction à Paris, M. Moulay Abbès Kadiri, Ambassadeur du Maroc, détaille pour le JFB les relations maroco-hongroises telles qu’elles existent et telles qu’il souhaite les voir se développer, en particulier sur le plan économique. Outre les nombreux atouts du Maroc, il a par ailleurs longuement évoqué l’agenda politique particulièrement chargé de son pays en 2007. Rencontre avec un homme rompu à l’exercice de la diplomatie, ainsi qu’avec son conseiller économique et commercial, M. Ahmed Laaziz, dans un petit bout du Maroc… à Budapest.

Les relations diplomatiques entre le Maroc et la Hongrie ont débuté officiellement en 1988, mais l’accession de la Hongrie à l’Union européenne a peu à peu changé le regard porté depuis le Maroc sur ce pays d’Europe centrale puisque «la Hongrie est désormais un pôle de développement incontestable et dynamique au sein de l’UE ». Certes, il existe des différences culturelles, mais le tissu même de ces relations est en quelque sorte «un chantier à défricher». L’avenir des relations économiques et commerciales entre les deux pays est un aspect auquel le pouvoir marocain croit beaucoup : «Nous voulons “drainer” des hommes d’affaires de part et d’autre de la Méditerranée», explique M. Kadiri.

Les relations économiques et commerciales

L’aspect économique, et commercial en particulier, des relations entre la Hongrie et le Maroc est au cœur des préoccupations de l’Ambassadeur. Celui-ci souhaite ainsi organiser la tenue, non pas d’une conférence, mais plutôt d’un symposium entre des entrepreneurs marocains et hongrois. Il estime en effet qu’en la matière, «le relais diplomatique a ses limites et rien ne vaut les rencontres entre professionnels de part et d’autre, avec des “data shows” et des présentations plus techniques par les spécialistes eux-mêmes».

Sur le plan commercial, «des échanges existent déjà, mais ils restent fragmentaires et consistent en l’importation de certains produits marocains : les fruits et légumes, les ressources halieutiques ou le textile par exemple». Notons parallèlement que des entrepreneurs hongrois ont introduit la production de paprika au Maroc. Par ailleurs, «nous avons récemment été contacté par un groupe de 26 sociétés hongroises, bien au courant du potentiel marocain, et avec lesquelles nous travaillons à la création d’un portail régulateur des importations et exportations entre le Maroc et la Hongrie. C’est très encourageant, car si c’est naturellement vers l’Europe de l’Ouest que se porte le regard des entreprises marocaines, il faut peu à peu tenter de modifier ces réflexes et d’élargir les perspectives.».

Le Maroc mise par ailleurs beaucoup sur le secteur des fertilisants puisque le pays renferme les 3/4 des réserves de phosphate connues sur la planète. Il en est le premier exportateur et le second producteur au monde, derrière les Etats-Unis et surpassant largement la Chine.

Mais le point d’orgue reste bien sûr le tourisme. Il n’existe encore qu’un seul tour-opérateur en Hongrie qui propose cette destination, mais la tendance est amenée à s’inverser puisque le Maroc dispose d’un large panel d’offres touristiques : le tourisme culturel bien sûr, mais aussi balnéaire, sportif, ou encore le tourisme de découverte écologique et enfin le tourisme médical. «Du tourisme de luxe, tel qu’il se pratiquait auparavant, nous sommes peu à peu passés à un tourisme de classe moyenne car, pendant longtemps, nous ne souhaitions pas voir le développement d’un tourisme de masse dans notre pays. Toutefois, pour dynamiser le secteur, Sa Majesté le Roi a récemment lancé le programme “Plan Azur” qui consiste en la création de six nouvelles stations balnéaires afin d’attirer environ 10 millions de visiteurs par an à l'horizon 2010». Le nombre de touristes ayant visité le Maroc en 2006 est de 6,7 millions.

De l’art de la coopération

«La coopération est quelque chose d’évanescent, qui doit s’adapter à l’air du temps. On est passé du modèle de coopération directe (don d’argent), à la coopération dite “au coup par coup“ (pour des projets ciblés), puis à la coopération “par programmation“ (dans un cadre biannuel) pour en arriver à la coopération décentralisée, c’est-à-dire au soutien de projets intégrés dans le cadre d’un développement durable et dont les répercussions sont multiples et plus étendues qu’auparavant.»

Dans le cadre de ce type de coopération, c’est ainsi principalement la gestion des villes, du réseau et du tissu urbain qui est privilégié. «Les grosses agglomérations sont le cancer de nos sociétés», souligne M. Kadiri. Désormais, les financements se font via des associations et des ONG, qui sont les leviers à travers lesquelles les allocations doivent transiter. Ainsi, parmi les ressortissants de la communauté marocaine de Hongrie, certains se sont constitués en associations maroco-hongroises.

Il y a actuellement environ 200 Marocains à Budapest. Ce sont notamment d’anciens étudiants qui sont revenus ou restés en Hongrie, parmi lesquels beaucoup sont devenus cadres dans de grandes entreprises hongroises ou des multinationales, dans des banques ou des compagnies d’assurance, mais aussi avocats ou encore professeur au lycée français…

L’agenda politique marocain: une année plutôt “chargée”

D’une part, il y a le Projet d’autonomie du Sahara occidental, déposé le 11 avril sur le bureau du secrétaire Général des Nations Unies, et qui constitue, pour le Maroc, le meilleur compromis possible. «Nous entrons désormais dans une longue période d’explication et de communication, notamment auprès des médias, car nous estimons que c’est la seule solution pour sortir de ce conflit qui, je vous le rappelle, existe depuis 32 ans ! C’est le contentieux le plus ancien en Afrique». Il y a d’autre part la tenue, fin septembre, des élections législatives au Maroc, les premières depuis l’accession au trône de Mohammed VI en juillet 1999.

Par ailleurs, toujours sur le terrain politique puisqu’il en est ainsi de l’organisation des grandes manifestations internationales, il y a la candidature de Tanger à l’Exposition Universelle de 2012 (contre la Corée du Sud et la Pologne, toutes deux également candidates). «Après Taejon en Corée du Sud en 1993, et bientôt Shangaï en 2010, il nous semble que l’Asie a eu sa part. Quant à l’Europe, elle a eu la part du lion ! Et en particulier cette zone de l’Europe puisque Hanovre, qui a accueilli l’événement en 2000, est très proche de la Pologne…» Le Maroc compte bien évidemment sur d’importantes retombées économiques car «ce type d’événement crée des milliers d’emplois et a un effet d’entraînement sur le tissu économique d’une région». Or «la relance économique est incontestablement un moyen efficace de fixer la population et, au final, de protéger l’Europe de l’immigration clandestine». La conférence ministérielle euro-africaine sur les migrations et le développement, qui s’est tenue à Rabat en juillet 2006, avait à ce propos permis de jeter les bases des futures relations de travail entre l’Europe et le Maroc sur ces questions, notamment puisqu’il s’agissait de la première démarche associant les pays d’origine, de transit et de destination des flux migratoires à une telle réflexion. «Mais pour cela nous demandons une aide à l’Europe car, seul, le Maroc est bien évidemment incapable de juguler ces flux migratoires».

Enfin, et pour en revenir aux relations maroco-hongroises, cette fois sous un angle plus stratégique, M. Kadiri a évoqué la tenue d’un séminaire qui sera organisé en mai à Budapest autour de la lutte contre le crime organisé. «Le Maroc étant un pays cible, comme les récents événements de Casablanca l’ont rappelé, notre expérience peut être profitable à la Hongrie qui, ne l’oublions pas, fera bientôt partie de l’espace Schengen ».

Frédérique Lemerre

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