Impôtssible
Depuis l’introduction, en juin dernier, d’un impôt sur la propriété privée, les attaques visant cette nouvelle taxation, inédite en Hongrie, n’ont cessé de se multiplier. Le 26 janvier, la Cour Constitutionnel a finalement choisi d’abroger la partie de la loi concernant les biens immobiliers d’une valeur supérieure à 30 million de HUF. Une décision qui choque non seulement les experts mais aussi l’opinion publique.
L’histoire a commencé en mai 2009, lorsque la Hongrie a signé un nouveau contrat avec le FMI. L'une des clauses de ce contrat prescrivait l’introduction d’un impôt sur la propriété privée, s’appuyant sur le fait que la Hongrie restait l’un des derniers pays en Europe où un tel impôt n’existait pas encore. C'est en juin que le Parlement a ratifié la loi, qui ne devait entrer en vigueur qu’en janvier 2010. Selon une enquête menée après cette ratification par l’institut Szonda Ipsos, 80% des Hongrois saluaient cette décision, y compris ceux qui auraient été touchés par cette mesure (soit 5% de la population). Malgré tout, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Budapest (BKIK) s’est tourné vers la Cour Constitutionnelle (AB) afin de remettre en cause cette loi dont elle estimait que plusieurs points étaient anticonstitutionnels. Suite à cette initiative de la BKIK, ce nouvel impôt est devenu le symbole de l’injustice sociale et l’AB fut harcelée de plaintes visant la loi. Elle a finalement décidé de l’invalider.
Mais pourquoi cette loi fut-elle tellement attaquée alors même qu’elle est en vigueur partout ailleurs en Europe et que la population y était plutôt favorable au début?
Avant tout, le BKIK a contesté le fait que l’assiette de l’impôt, soit la valeur absolue de l’immobilier, restait subjective. Selon la formulation de la loi, c’était au propriétaire de désigner la valeur de son bien immobilier. Si cette somme n’atteignait pas 30 million de HUF, le propriétaire était exonéré de l’impôt, tandis que si le bien immobilier en question était estimé à 30 million et 1 HUF, son propriétaire aurait dû s'acquitter d'un impôt d’une centaine de milliers de HUF. La loi tolérait une différence de 10% entre la valeur du bien immobilier calculée par l’APEH et celle déclarée par le propriétaire. Or les "calculateurs" de l’administration fiscale ont souvent commis des erreurs de 30% à 40% en calculant la valeur des biens immobiliers: d'une part parce que, pour un appartement donné, ils rendaient possible la saisie de données concernant un autre appartement, mais ils pouvaient aussi donner le même prix pour deux appartements similaires situés à deux endroits différents dans le même arrondissement. C'est précisément ce type de lacune qui posait problème à l'AB.
L’autre problème majeur résidait dans le fait qu’un propriétaire dont le bien immobilier était estimé à 30 million aurait dû payer l'impôt, contrairement à quelqu’un possédant trois appartement d’une valeur de 20 million chacun. Les critiques les plus sévères émanaient toutefois des organisations défendant les intérêts des familles nombreuses d’une part et des retraités d’autre part. Les premières soulignaient que les familles nombreuses seraient injustement touchées par cette nouvelle mesure alors que leur besoin en biens immobiliers plus vastes était justifié. Les secondes s’inquiétaient pour les retraités bénéficiant de rentes viagères auprès de sociétés ou de personnes privées. Dans ce cas, ni ces derniers ni les retraités n'auraient eu à payer l'impôt puisque la loi prévoyait sa prise en charge par les héritiers des personnes âgées!
Suite à la décision de l’AB, le porte-parole des juges constitutionnels, András Sereg, a souligné que le problème n’était pas en soi l’idée d’un tel impôt, mais bien la formulation de la loi et les imprécisions que comprenait le texte. Ce rejet entraîne ainsi un manque à gagner de 60 à 70 milliards de HUF dans les prévisions budgétaires du gouvernement, qui doit en outre faire face aux conséquences de ce rejet face au FMI. Csaba László, expert et professeur à CEU, note qu’après les verdicts de l’AB concernant l’impôt sur les produits de luxe l’année dernière et l’impôt sur la propriété privée cette année, plus personne n’aura le courage de réintroduire un tel impôt alors même qu'il permettrait de mettre en place une fiscalité plus juste. Selon Zsolt Ruszin, le texte de loi aurait facilement pu être modifié et «une attaque nucléaire» contre elle n’était absolument pas nécessaire. Désormais le Parlement pourrait encore retravailler la formulation de la loi mais un tel changement nécessiterait une majorité de 80%, ce qu’il est peu probable d’obtenir puisque le Fidesz a déclaré à de nombreuses reprises qu’il annulerait l’impôt à son tour au pouvoir.
Quant au FMI, peu lui importe de savoir comment le gouvernement gère le déficit, pourvu qu’il le gère. La question reste donc en suspend: si ce n’est pas la propriété privée, quelle sera la prochaine cible des législateurs?
Kinga Néder
Quelques exemples de biens immobiliers d’une valeur de 30 million de HUF:
- Une maison de 150 m2 avec piscine à Kakucs (Pest megye).
- Un appartement neuf de 51 m2 dans le VIe arrondissement.
- Un appartement de 75 m2 dans un immeuble des années 1920 dans le Ve arrondissement.