Hongrie : quand Viktor Orbán joue les mamamouchis…

Hongrie : quand Viktor Orbán joue les mamamouchis…

[Comme l´on sait, la pandémie n´a pas épargné la Hongrie où, sans prendre – du moins pour l´instant – les proportions dramatiques que nous lui connaissons ailleurs, cause de graves problèmes. Mais – particularité magyare ? - elle n´a pas épargné non plus un climat politique déjà suffisamment tendu, notamment de la part des représentants du pouvoir en place, profitant de la situation pour tenter de discréditer une opposition accusée de tous les maux aux yeux du public. Dans ce contexte, l´épisode inattendu du sommet pan-turc apportera peut-être une touche d´exotisme bienvenue pour nous distraire un instant de nos soucis. Bonne lecture ! ]

Élève turbulent du fond de la classe, Viktor Orbán fait beaucoup parler de lui par les temps qui courent. Notamment pour s´être fait attribuer par sa majorité les pleins pouvoirs pour une durée illimitée, sorte d´article 16 permanent, prétextant de la crise du Covid-19. Profitant au passage de l´occasion pour renforcer son contrôle sur les médias et l´opinion (1).  Ce qui lui vaut de se trouver une fois de plus sous le feu de la critique. Mais rassurez-vous, il adore ça, pour peu qu´on le place sur le devant de la scène.

Il est, par contre, une information qui est pratiquement passée inaperçue : sa conférence vidéo, vendredi dernier (le Vendredi Saint), avec les dirigeants du „Groupe turcique”. Alias Conseil des États turcs, mis en place pour rassembler, aux côtés de la Turquie, les peuples de l´Azerbaïdjan, du Kazakhstan, du Kirghizistan et de l´Ouzbékistan. Groupe auquel la Hongrie, qui en héberge le siège, s´était jointe en 2018 en tant qu´État observateur.

Considérés par le pouvoir en place comme frères de race au nom de la sacro-sainte doctrine du pantouranisme (2), Viktor Orbán fait donc appel à ses cousins pour coordonner leurs politiques de la santé et tenter de résoudre ensemble la crise du coronavirus. Rappelant que „c´est dans les moments difficiles que l´on reconnaît ses vrais amis”, petite vanne lancée au passage à Bruxelles, le Premier ministre hongrois a tenu à remercier ses amis pour leur généreuse assistance : dons de masques par l´Ouzbékistan et le Kazakhstan. Geste des autorités kazakhes pour favoriser le transit sur leur sol de matériel venu de Chine. Livraison par les Turcs, bravant les limitations imposées à leurs exportations, de huit tonnes de textiles destinés à la confection de masques et de gels désinfectants.

Voilà qui est bien sympathique, certes. Mais… l´Europe dans tout cela ? Rien, pas un mot, sinon pour se plaindre de n´en recevoir aucune aide. Et pourtant, la Hongrie fait partie des pays en tête parmi les bénéficiaires de fonds européens. D´ailleurs, où sont passés ces soussous ? Allez donc vérifier !

Certes, rien ne s´oppose a priori à ce que le Premier ministre hongrois ouvre sa diplomatie sur la Turquie, l´Asie centrale et la Chine, bien au contraire. Mais pour le faire au détriment de ses voisins de l´Ouest ? Par ailleurs, pourquoi ce besoin de seriner à tout bout de champ un passé culturel commun ? Alors que Budapest a toujours été partie intégrante de notre culture. Le souvenir des nombreux écrivains et artistes hongrois qui ont séjourné à Paris, Munich et Berlin est là pour le confirmer. Une démarche qui n´est pas innocente, visant à se forger de glorieux ancêtres guerriers, partie intégrante de la politique nationaliste affichée par le Premier ministre hongrois.

Quant à utiliser cette triste actualité pour afficher haut et fort ces vues, voilà qui est bien curieux. Mais Viktor Orbán n´en aura jamais fini de nous surprendre… C´est peut-être là, après tout, ce qui fait son charme….

Le plus comique dans l’histoire est que, parmi les quatre occupations dont a souffert le pays, deux (et des plus cruelles) venaient précisément de peuples aujourd’hui dits „frères” : les Mongols en 1241 et les Turcs (il est vrai que c’étaient des Ottomans) en 1526.

Pierre Waline

(1): sera désormais passible de cinq ans de prison quiconque diffusera de „fausses informations” sur la pandémie et les mesures prises par le gouvernement.

(2): Le touranisme ou pantouranisme est un courant idéologique politique dont le but est l'union des peuples de langues turques et finno-ougriennes au sein d'une entité nommée Touran. Le touranisme est basé sur une hypothétique origine commune aux deux groupes linguistiques et, par extension, d'un super-groupe» ouralo-altaïque, selon une théorie aujourd'hui largement abandonnée. (Wikipédia).

Une doctrine contestée par l´ensemble des linguistes (sérieux) qui remonte à la fin du XIXème siècle et qui fut largement exploitée, notamment par les milieux d´extrême droite, sous le régime de l´amiral Horthy.

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