Histoire/Geschichte

Histoire/Geschichte

La chronique de Dénes Baracs

Échos de la francophonie


Le deuxième volume de la série de manuels d’Histoire communs franco-allemands est sorti des presses pour cette année scolaire, signe de la bonne santé de cette grande entreprise pédagogico-politique entre les deux nations. Cette nouvelle me laisse rêveur.

Rien de plus vil que l’Histoire entrelacée des nations voisines: amitié et animosité, alliance et trahison, entreprises communes et séparations, des frontières qui vous unissent et qui vous séparent selon les temps, suprématies et subordinations, guerres, conquêtes et pertes alternent sans cesse. Pourtant, les historiens de ces deux pays ont pris le taureau par les cornes: ils ont commencé par le bilan de la Seconde Guerre mondiale dans laquelle l’Allemagne et la France ont été des ennemies mortelles avant d’arriver au partenariat franco-allemand de nos jours.

D’abord le passé immédiat, le plus controversé, puis on poursuit avec l’Antiquité, elle aussi très délicate, c’est le sujet du seconde volume, et on finit par l’entre-deux, l’acharnement des deux derniers siècles, pour l’année prochaine.

En tout cas, le texte et les photos chocs confrontent les étudiants avec le progrès dramatique que les deux nations ont fait depuis 1945. Par exemple, le dernier chapitre au titre interrogatif, Le partenariat franco-allemand: un succès exemplaire ?, est illustré par deux photos. La première, Paris sous l’occupation allemande (1940), montre Hitler visitant la capitale française entouré des principaux dirigeants nazis. La deuxième photo évoque le geste de réconciliation franco-allemand à Verdun en 1984, quand le président français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl ont rendu hommage ensemble, main dans la main, aux victimes des deux guerres mondiales. En tout cas, cette deuxième illustration prouve que pour écrire un livre d’Histoire en commun il est bon d’avoir déjà réalisé de vrais et sincères gestes de réconciliation.

Un autre secret du manuel commun: ce n’est pas une vision unifiée de l’Histoire, impossible à réaliser, mais une description commune des différentes conceptions que les uns et les autres peuvent formuler à propos de différents évènements du passé. On ne nie donc pas le fait que les mêmes évènements puissent donner lieu à des interprétations différentes, mais on informe de la même façon les lecteurs de ces variations. L’opinion différente est traitée avec respect et selon les mêmes critères, ce qui enlève beaucoup à la virulence des querelles historiques.

Correspondant en Roumanie dans les années 90’, j’étais ainsi présent lors de l’inauguration de la statue d’un des héros hongrois de la révolution de 1848-49 dans une localité sicule deTransylvanie. Cette révolution est l’exemple typique d’un événement historique qui a laissé des souvenirs différents dans les deux nations. Au début, les révolutionnaires roumains, tout comme un peu plus tôt leurs confrères hongrois, se sont soulevés contre les autorités de Vienne. Mais les Habsbourg ont réussi à les diviser et les Roumains ont combattu les Hongrois qui leur ont refusé les mêmes droits qu’ils ont réclamés pour eux-mêmes. L’unique vainqueur fut Vienne, comme l’ont réalisé ultérieurement tous les révolutionnaires, les uns et les autres après la chute du mouvement, quand il était déjà trop tard.

„Nous avons lu des livres différents, chacun a appris d’un autre ouvrage ce qu’était son Histoire, et, ce, de façon différente”, remarqua avec regret l’orateur roumain qui intervint après les participants hongrois. Je ne sais pas s’il a simplement constaté cet état de fait ou s’il a voulu critiquer ceux qui ont une autre conception de l’Histoire que celle du manuel rédigé par les historiens roumains, en tout cas je trouvais sa formule intéressante. Il est vrai que tout dépend de ce que nous lisons, de ce que nous apprenons sur notre passé. Si nos sources sont tellement différentes, il n’y a pas de raison de s’émouvoir du fait que nos opinions divergent.

Heureusement, des comités mixtes d’historiens hongrois et roumains, hongrois et slovaques, etc. sont déjà en train d’élaborer des approches communes. Mais de là, il y a encore une belle distance à parcourir pour aboutir aux manuels d’Histoire communs avec nos voisins. Et serait-ce un rêve, des manuels d’Histoire communs entre Israéliens et Palestiniens, Indiens et Pakistanais, Grecs et Turcs de Chypre, Cinghalais et Tamouls du Sri Lanka, etc. (la liste serait très longue...).

En tout cas, il existe déjà un modè-le. Lisez le manuel commun franco-allemand: Histoire/Geschichte. En deux langues, le même livre, la même source.

Un miracle, de nos jours.

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