Guerre déclarée à la corruption

Guerre déclarée à la corruption

La coalition Fidesz-KDNP doit en partie sa victoire aux affaires de corruption dans lesquelles sont impliquées des membres de l'ancienne majorité MSZP-SDSZ. Si la corruption est bien un fléau à combattre en Hongrie, M. Orbán, dont l'opportunisme politique n'est plus à démontrer, voit là un parfait moyen de faire jubiler son électorat en lançant une véritable inquisition contre ses adversaires et leurs proches. Gyula Budai est la figure emblématique de cette lutte contre la corruption.

En 2008, M. Budai, avocat dans la région de Fejér, où se trouve la ville de Sukoró au bord du Velencei-tó, dénonce un contrat d’échange inégal entre Blum Joav et l'État hongrois. Le premier a cédé au deuxième sa propriété de Monor-Pilis en échange d’un terrain de 70 hectares situé à Sukoró dans le but d’y construire un casino. Il apparaît aujourd’hui que la valeur des deux biens ait été mal estimée, dans des proportions telles que l’on ne peut croire à l’étourderie. L’écart entre les deux biens a en effet été chiffré, après coup, à 1,328 milliards de HUF. M. Budai se retrouve alors sous les feux de la rampe et sera un des portes-flingues du futur Premier Ministre.

Le 11 juin 2010, M.Orbán charge M.Budai de se pencher sur les ventes de terrains appartenant à l'Etat. Le chef de gouvernement soupçonne, souvent à juste titre, la surévaluation de la valeur de ces terrains qui permet aux acheteurs de faire leurs choux gras. Cette technique est également profitable à ceux qui sont mandatés pour évaluer le terrain. De plus en plus présent médiatiquement, Gyula Budai va s'émanciper de son rôle initial pour devenir le chef de file de la croisade que le Fidesz mène contre la corruption. Le 4 novembre 2010, tout juste 54 ans après la fin sanglante de l'insurrection hongroise, M. Budai est nommé commissaire à la publication des comptes et à la lutte contre la corruption (elszámoltatási és korrupció-ellenes kormánybiztossá) au sein du ministère de l'Administration et de la Justice. Le choix de cette date n'est pas anodin. Il témoigne de la volonté de M.Orbán de se venger des années de plomb ainsi que de ce qu'il considère être l'héritage de cette époque, le MSZP. L'électorat Fidesz exulte.

Le dispositif est donc en place. De surcroit, Tibor Navracsics, ministre de l'Administration et de la Justice, a annoncé l'octroi de deux enveloppes de 4 milliards de HUF au parquet et aux tribunaux afin de raccourcir les délais des procès. Par ailleurs, un département spécialisé dans les affaires de corruption sera créé au sein du parquet. Le gouvernement paraît déterminé à châtier suspects et inculpés. M. Budai multiplie les prises de position sur les affaires en cours. L'affaire Sukoro est son cheval de bataille mais il a dernièrement montré qu'il voulait aussi la tête de Gábor Demszky, ancien maire de Budapest empêtré dans des scandales immobiliers. Il veut aussi que la justice soit faite jusqu'au bout dans l'affaire BKV. Il prend évidemment le parti de ceux qui réclament une confirmation du jugement de M. Zuschlag en deuxième instance. Il est scandalisé par la lenteur du procès d'Attila Kulcsár. Récemment, il s'est saisi du scandale autour de la société BMSK Zrt. qui a fait l'acquisition de cinq tableaux pour un montant largement surévalué. Le vendeur, Szilvàsy György, gestionnaire de la fortune de l'Etat hongrois au moment des faits, est la cible. Le Fidesz parviendra-t-il à faire toute la lumière sur l'ensemble de ces affaires (et bien d'autres)? Jusqu'à présent aucun résultat notable n'est à signaler.

A n'en pas douter, la position de force du Fidesz permettra de faire tomber quelques têtes. C'est bien. Mais, vu de plus près, cette politique est en fait un moyen de déstabiliser l'opposition et non une véritable lutte contre la corruption. Plus le Fidesz attisera l'amalgame entre MSZP-SZDSZ et corruption, plus longtemps le peuple hongrois, complètement déboussolé, lui accordera sa confiance. La corruption est en réalité une aubaine pour M.Orbán. Sans affaires de corruption, Viktor Orbán est politiquement mort. Hír.tv et Magyar Nemzet mettent la clé sous la porte. Pour faire court, aucune argumentation solide n'est produite par le Fidesz sur les origines de la corruption, autres que la corruption naturelle du personnel politique MSZP-SZDSZ. Être membre ou proche de cette mouvance, c'est être corrompu par essence, voilà l'explication du Fidesz. Bien évidemment, le Jobbik s'en donne à coeur joie en soulignant la judéité de certains inculpés et ravive ainsi un antisémitisme nauséabond. Tout reste à voir, mais fort est à penser que ce règlement de compte politique ne fera pas reculer fortement la corruption. D'ailleurs, pour certains, on ne peut lutter efficacement contre la corruption sans bâtir une critique systémique. Ceux-là pensent que la corruption est consubstantielle à la démocratie représentative. Le représentant est prêt à tout pour conserver son siège. Arroser tous ses électeurs et en récolter les fruits est la règle. Le mandat unique pourrait donc être une solution pour s'immuniser de cette maladie qu'est la corruption. En allant plus loin dans l'analyse, d'autres considèrent que la démocratie représentative est le système politique découlant du mode de production capitaliste. Le capitalisme est alors responsable de la corruption. Sur ce dernier point, les analyses anticapitalistes sont, en Hongrie, aussi rares que les parlementaires non corrompus.

Yann Caspar

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