« Freedom Express » : quand la liberté guidait les peuples de l’Est
Partie de Pologne l'an dernier, l'expo Freedom Express est arrivée à Budapest fin-juin. Objectif : sensibiliser le public, surtout les jeunes, aux différents désirs de liberté bridés par le communisme, aboutissant à la transition démocratique de 1989-1990. Visite guidée
Un marteau et une faucille brisés saisissent le visiteur sur le parvis du Musée national. Fragments d’un communisme dont le dit « bloc de l’Est » s’émancipait au moment où le mur de Berlin tombait. Comme l’indique le sous-titre de l’expo Freedom Express, 1989 fut « l’année des changements ». L’épilogue d’un demi-siècle de domination soviétique, entre Guerre Froide et plans quinquennaux. Laquelle prendra véritablement fin suite à la démission de Mikhaïl Gorbatchev, annoncée à Noël 1991.
Disposée chronologiquement et en extérieur, Freedom Express décortique par le menu la politique, l’économie, la société, les médias et le sport tels qu’ils étaient au-delà du Rideau de Fer. Du printemps de Prague (1968) écrasé par Moscou au dopage méthodique des athlètes est-allemand(e)s en passant par les grandes icônes de la dissidence, à l’instar du Polonais Lech Wałęsa. De l’embrigadement des jeunes aux réalisations de l’architecture réaliste socialiste, notamment le palais du Peuple à Bucarest.
La notion de liberté imprègne l’ensemble de cette présentation. Liberté des nations, se débarrassant l’une après l’autre de l’écrasante et vacillante tutelle moscovite. Liberté de circulation, strictement encadrée à l’époque et réduite aux pays-frères via le passeport rouge. Liberté de conscience, rompant avec l’idéologie véhiculée par la Pravda et les organes du Parti. Liberté de culte, que le pape Jean-Paul II demanda et martela dès les prémisses de son pontificat.
Freedom Express s’attarde également sur les pénuries alimentaires, ayant rythmé les existences à l’Est. Comme sous Vichy en France, des tickets de rationnement donnaient droit à une quantité de nourriture. Queues sur des centaines de mètres et étals vides ont marqué des générations de ce côté de l’Europe. Sans négliger, bien entendu, les ravages de la collectivisation chez les propriétaires terriens et paysans aisés, ennemis de classe sommés d’intégrer des grandes fermes administrées par l’Etat.
Lac Balaton et pique-nique
Au milieu de ce cours d’Histoire rappelant le lycée à l’auteur de ces lignes, la Hongrie occupe une place de choix. La « baraque la plus gaie du camp socialiste » était vue comme l’une des terres les plus permissives sous l’égide de Moscou. C’est vite omettre l’intransigeance de Mátyás Rákosi, s’autoproclamant volontiers « meilleur élève de Staline », dès sa prise de fonctions en 1948. Ou la répression sanglante de l’insurrection d’octobre 1956 à Budapest, relatée en détail dans l’exposition.
Un portrait d’Imre Nagy, héros de cette révolution avortée, évoque la détermination de cet ex-apparatchik à réformer le communisme en profondeur. Les chars soviétiques l’en empêcheront. Un autre représentant Sándor Rácz, présent sur place et accompagné d’un texte, rappelle le rôle primordial du dirigeant ouvrier durant le soulèvement populaire. Les révoltes consécutives à la mort de Joseph Staline (dont celles de Berlin-Est 1953 et de Poznań en 1956) figurent sur un tableau leur étant dédié.
Sur le sol magyar, les seules onces d’autonomie concrète se ressentaient au lac Balaton. Là où convergeait le ballet des Trabant, des Lada et des plaques minéralogiques avec autocollant DDR (RDA). Le temps de piquer une tête et d’évacuer la pression du régime. Les enfants barbotent, les couples sourient. Mêmes visages radieux au pique-nique paneuropéen de Sopron (19 août 1989), à deux pas de l’Autriche. Ce jour-là, la frontière ouvrit trois heures et les gardes rangèrent leurs armes.
Les étapes de la transition démocratique locale sont largement abordées : table ronde négociant la fin du communisme (été 1989), liesse devant le Parlement à la naissance de la République de Hongrie (23/10/1989), et premières élections législatives libres remportées par le Forum démocrate (25/03/90). Les indépendances des autres ex-satellites de l’URSS aussi. À défaut de « fin de l’Histoire », théorisée par Francis Fukuyama, la Hongrie et « l’Est » en ont créé une nouvelle il y a 25 ans. Pour être libres.
Joël Le Pavous
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