France-Allemagne Relancer le moteur de l’Europe
Rencontre à Budapest avec Philippe Gustin
Historien, préfet et ancien ambassadeur, Philippe Gustin vient d’écrire un essai avec Stephan Martens professeur de civilisation allemande et ancien recteur sur les relations franco-allemandes et l’Union européenne. Nous avons rencontré Philippe Gustin après la présentation de son livre à l’Institut Français de Budapest.
JFB : La France et l’Allemagne, le destin du couple improbable comme vous l’aviez mentionné est décisif comme le prouve l’actualité brûlante suivant les dernières infos d’un mini-sommet au large des côtes italiennes auquel la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande ont participé, invités par le chef du gouvernement italien Matteo Renzi. Que peut-on espérer après cette rencontre ?
Philippe Gustin : Il y a là un symbole fort après le référendum et la sortie présumée de la Grande Bretagne de l’UE. Il est important de retrouver un nouveau souffle à l’Europe. Il est particulièrement important que ces trois pays se retrouvent, même si l’on sort du couple traditionnel franco-allemand. Nous pensons avec Stephan Martens qu’ un couple à trois est toujours plus compliqué. On voit bien que les résultats de cette deuxième rencontre – il y en avait déjà eu une au mois de juin – sont longs à venir parce que ces trois pays sont préoccupés par ailleurs par des problèmes de politique interne. Je ne pense pas – malheureusement - qu’ils auront aujourd’hui la possibilité de s’engager pleinement au renouveau de l’Europe.
Héritiers de l’Empire Carolingien, au cours de l’histoire la France et l’Allemagne ont appartenu déjà deux fois au même Empire. Ce qui ne les a pas empêchés de se séparer et de faire la guerre. Pour nous c’est extrêmement symbolique, parce qu’on pourrait croire que l’on a aujourd’hui une Europe immuable, qu’elle est protégée – et pourtant, tout est extrêmement fragile. Ce qui a conduit autre fois à la chute des Empires peut conduire aujourd’hui à la chute de l’Europe. Mais pour rester positif, on voit bien dans l’histoire de l’Allemagne et de la France que même si leur relation n’a jamais été évidente – avec toutes les différences culturelles et autres – la France et l’Allemagne ont une force, .celle de partir de positions très différentes et de parvenir à des consensus que les deux pays ont été capables de faire accepter aux autres pays européens.
JFB : Comment avez-vous décidé d’écrire ce livre retraçant l’histoire des relations franco-allemandes et les perspectives de l’enseignement des langues dans les deux pays ?
P. G. : Nous avons décidé d’écrire ce livre en voyant le projet de réforme du collège en France qui va conduire à ce que l’allemand devienne une langue que plus personne n’apprendra en France. Nous avons trouvé cela dangereux. On ne peut pas imaginer une relation entre la France et l’Allemagne qui passe uniquement par l’anglais. Il s’agit de se donner les moyens en France et en Allemagne pour que l’on continue à apprendre la langue de l’autre. C’était possible jusque-là, on a réussi à sauver l’apprentissage de l’allemand à plusieurs reprises et à partir de cette rentrée malheureusement cela va changer. Il faut faire attention parce que quand on casse quelque chose – surtout à l’éducation nationale on a du mal à remettre la machine en route. Je le sais trop bien, ayant été directeur du cabinet du ministre de l’éducation nationale. Je suis un Européen convaincu de la nécessité de promouvoir le plurilinguisme. On peut parler 2-3 langues et même plus – et c’est important que dès l’enfance on puisse favoriser le multilinguisme. Un enfant a une souplesse intellectuelle, une ouverture qui lui permet d’apprendre plusieurs langues. Aujourd’hui la priorité c’est l’éducation, c’est la formation et l’information – afin que les jeunes Européens soient vraiment bien informés de leur histoire commune et de ce que l’on peut faire de cette Europe aujourd’hui.
JFB : Qu’est-ce qui vous a amené à ces sujets de prédilection, au plurilinguisme en Europe et plus particulièrement en Europe centrale et orientale ?
P. G. : Le cas de Stephan Martens est emblématique. Il est né à Trieste, ses parents étaient allemands, son père était directeur de l’Institut Goethe et Stephan est arrivé en France à l’âge de 8 ans. Aujourd’hui il a été naturalisé français. Dans mon cas j’ai des enfants qui sont franco-allemands. Nous sommes tous les deux viscéralement européens et très attachés à cette relation franco-allemande.
J’ai eu la chance dans ma vie de vivre huit ans en Allemagne, plusieurs années en Europe centrale et orientale : 6 ans en Hongrie, 2 ans et demi en Autriche et 2 ans et demi en Roumanie où j’ai été ambassadeur. Dans ces pays on connait le plurilinguisme. A Budapest, j’ai participé au programme de formation des futurs professeurs de français (après la chute du mur de Berlin on a recyclé les anciens professeurs de russe quand l’enseignement du russe n’était plus obligatoire.) Mais j’ai toujours dit qu’il ne fallait pas abandonner complètement l’enseignement du russe non plus. En Allemagne et en France après et malgré les deux guerres mondiales l’enseignement du français et de l’allemand sont restés dans les programmes scolaires. Et cela devrait rester évident entre deux pays voisins qui doivent travailler ensemble. Il faut donc relancer la relation franco-allemande qui est un des moteurs de l’Europe. On en a particulièrement besoin à un moment où l’Europe est très fragilisée par des crises à répétition. Je pense qu’il faut rendre de nouveau attractive l’Union européenne pour les Européens pour éviter un rejet de l’idée européenne avec la recrudescence de partis anti-européens un peu partout en Europe.
Propos recueillis par Éva Vámos
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