FRANCE 24
Échos de la francophonie
La chronique de Dénes Baracs
Face à mon ordinateur, en train de regarder le journal de la première chaîne d’informations en continu française, FRANCE 24, je vois Nouri al-Maliki, le premier ministre irakien qui tient une conférence de presse. Soudain, on entend un grand boum qui vient de dehors, une détonation puissante. Les visages se figent, mais le politicien ne ralentit pas son discours, il continue comme si de rien n’était.
L’image change, et je vois le résultat de l’explosion, c’était un nouvel attentat suicide particulièrement meurtrier à Bagdad : une épaisse fumée noire, des immeubles démolis, une foule désemparée, des voitures qui brûlent, des ambulances hurlantes, des tâches de sang, des morts, l’horreur est indescriptible, indicible.
Contraste dramatique. Comment expliquer l’impuissance du gouvernement en Irak, et aussi de son protecteur américain ? Ni l’un, ni l’autre - et cela malgré les 130 mille soldats américains armés jusqu’aux dents - ne parvient à endiguer le terrorisme, ni à mettre un terme à la guerre civile entre les Irakiens sunnites et chiites.
Les images parlent, et je les écoute en français. Enfin la voici lancée, cette nouvelle chaîne d’informations, avec l’importante mission de couvrir l’actualité internationale «avec un regard français 24h sur 24 et 7 jours sur 7», comme on peut lire dans la première phrase de sa charte, signée par tous ses journalistes.
Je dis «enfin» parce que sur notre globe «mondialisé» il ne suffit plus de dire, écrire, raconter, expliquer et analyser les faits : il faut les montrer. L’image, qui par le passé se limitait humblement à compléter l’information, est désormais son essence. Les mots perdent leur force évocatrice dans notre monde rempli de caméras, d’appareils photo, de caméras vidéo. C’est un monde où les distances disparaissent et où, sur un même écran, nous pouvons suivre les querelles violente de gens qui se trouvent souvent aux antipodes du globe, ne partageant pas les mêmes idées.
L’Américain Ted Turner l’avait compris le premier en fondant, à Atlanta (non pas dans la capitale américaine, parce que le lieu concret perd de son importance) le “Cable News Network”, la première chaîne d’informations globale en continu CNN. Au début de son existence, elle a surtout montré le monde extérieur aux Américains, mais le réseau a vite couvert le globe entier, et par conséquent, le monde a pris l’habitude de se voir à travers les images recueillies par CNN.
Même pour ceux qui ne comprennent pas l’anglais, les images parlent. Mais ce n’est pas tout : nous savons aussi que ce sont surtout les décideurs, les politiciens, les entrepreneurs, les hommes de la culture qui ont pris l’habitude de s’informer en continu. Pendant des années, l’unique source de ce genre qui se tenait toujours à leur disposition s’appelait CNN. Puis l’Europe se réveilla et créa Euronews. La recette fit un tabac : Al Djazira fut créée, la première chaîne d’informations arabe, d’autres suivirent encore.
Il était donc temps que les Français entrent eux aussi dans le grand jeu des télévisions d’informations en continu. Ils ont attendu longtemps mais cela peut avoir des avantages aussi. En tout cas, il me semble que la nouvelle démarche peut enrichir l’expérience du genre. Par exemple, c’est la première chaîne lancée en avant-première sur Internet et aussi la première diffusée en deux langues dès son démarrage - en français et en anglais.
Le bilinguisme - et même l’ambition trilingue, avec le projet de l’émission en arabe - montre la voie aux nations moins nombreuses qui parlent des langues exotiques (comme nous par exemple, le hongrois). Si l’on veut se faire comprendre du monde entier, l’anglais est une langue utile. J’apprécie beaucoup le fait que la France, si fière de sa culture, ait lancée cette expérience en anglais aussi : il est plus important de faire entendre la voix de la France que de faire écouter essentiellement des voix françaises.
Malheureusement, je ne peux suivre la nouvelle source d’informations lancée en décembre que sur Internet : un petit carré d’images mouvantes sur un coin de l’écran de mon ordinateur. Mais peut-être est-ce une chance ? De cette façon, je découvre FRANCE 24 dans sa forme interactive, moderne, et complexe. D’autant plus que c’est aussi la première chaîne qui veut abolir la frontière entre télévision et Internet, utilisant tous les supports possibles : câble, videocast, téléphone portable et satellite. Et comme le professent avec passion ses journalistes, FRANCE 24 se veut un vrai multimédia au service de l’information à la française fait de «diversité des opinions, de débat, de contestation, de confrontation, de défense de multilatéralisme, de laïcité, de solidarité, de respect, de liberté de ton, d’art de vivre, de culture, de mode, de gastronomie…»
Des ambitions nobles même si elles me laissent un peu rêveur parce que la culture de l’information en continu s’est révélée être avant tout celle du drame, des catastrophes, des crises, des guerres. Pour les adeptes de ce genre d’informations, ce qui compte c’est toujours d’être à jour, d’être sur place, de pouvoir «se connecter» tout de suite. Beaucoup de mauvaises nouvelles et peu de bonnes, contrairement à la vie réelle.
On dit que les peuples heureux n’ont pas d’histoire - on pourrait ajouter qu’ils n’ont pas de couverture exceptionnelle de télévision non plus. Les moments de joie des habitants de la Terre ne génèrent que rarement des «breaking news» - introduits par CNN - quand le flot normal des images d’informations est interrompu pour la retransmission d’événements extraordinaires. Pour la Hongrie, les jours de septembre et octobre - quand les événements de Budapest ont généré de tels reportages sur des chaînes d’informations du monde entier - furent des jours tristes et dramatiques, mais ce n’est pas la faute de celui qui transmet ce qui se passe, c’est notre curiosité souvent morbide, notre peur, notre soif de sensation qui alimente ce flot toujours plus intense.
Mais pour autant, voir de plus près et vite signifie-t-il en savoir plus et comprendre mieux ? La même image répétée maintes fois approfondit-elle réellement notre information ? Comment montrer ce qui ne se voit pas sur l’écran ? Comment faire comprendre les raisons de l’enchaînement des événements dont la détonation entendue à Bagdad n’était certainement pas la dernière ? Comment chercher l’issue ? Voilà le défi et c’est ici que FRANCE 24 peut vraiment se frayer un chemin, surtout si elle réussit dans son ambition de «montrer aux téléspectateurs et internautes du monde entier tout ce qu’ils ne sont pas censés voir, savoir ou comprendre, sur tous les sujets de l’actualité internationale», et «de rester impartial et indépendant».
A mon grand plaisir, j’ai découvert sur le site Internet de la chaîne (www.france24.com), les blogs de ses jeunes animateurs et animatrices. Si l’on connaît leurs visage et voix, si nous entendons de leur bouche ce qui se passe et ce qui se dit ailleurs, dans leurs blogs, ils se posent des questions sur les faits relatés par eux-mêmes - questions et commentaires, interrogations très sincères, et ils sollicitent notre opinion aussi. C’est rassurant. L’information - et celui qui la communique - ne peut que s’enrichir de ce genre de dialogue.
24 heures sur 24.
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