Fièvre acheteuse from China
Les marchés sont le meilleur baromètre pour connaître l’ambiance d’une ville. Marchés alimentaires sous halles ou en plein air, marchés aux puces, brocantes du dimanche ou salons à thèmes, c’est là l’occasion de côtoyer les autochtones. Budapest a de plus cette particularité d’abriter un marché chinois, le plus grand d’Europe de surcroît. Ex-Communisme oblige, l’importante communauté chinoise de Budapest a su instaurer un commerce tentaculaire made in China dans le VIIIe arrondissement.
Depuis treize ans, les étals ont peu à peu grignoté les hangars industriels du boulevard Kôbányai, côtoyant les usines métallurgiques subsistantes. Les marteaux pilons de Ganz y fabriquent toujours de curieux woks d’acier de 5 mètres de diamètre sortant tout chauds du four. Dans cette enfilade de hangars juste balayés, on frôle encore les ponts roulants et les balances poussiéreuses d’un temps révolu. Des centaines de containers sont superposés à demeure, définissant dessous l’espace imparti à chaque micro marchand. On se croirait dans un jeu de tétris où les modules doivent s’emboîter implacablement. De l’autre côté du boulevard, le marché continue tout en longueur version plein air, serré entre les voies de chemins de fer de la gare de tri de Józsefváros et les rails du tramway 28. Passé l’un des trois porches griffés d’idéogrammes et de tigres, passé le sas d’aéroport aux pancartes «no camera no dog no gun » qui vont vraiment de soi, on plonge dans les lymphes de la consommation.
Quel dommage d’être si sensibles à nos marques préférées, ce serait moins cher d'acheter ici que de laver ses vieilles chemises. On trouve de tout : vêtements, chaussures, jouets, fleurs en plastique, piles, tenues de kung-fu, cafetières italiennes, épées et couteaux, sachets de soupe lyophilisée, casques de moto, porte-bonheur, guirlandes électriques, faux parfums, équipement militaire, DVD pirates, lingerie d’enfer, canne à pêche, parapluies fluos, caquelon à goulash… Décrire ici les amoncellements improbables et répertorier les marchandises invraisemblables est encore en deçà de la réalité. C’est tout le dérisoire de notre vie qui est soudain vulgairement étalé ; comme si un institut de sondages saugrenu voulait représenter nos biens de consommation courante sur une année. Est-ce l’idée que le marché chinois se fait de nos besoins ? Est-ce au contraire le reflet de nos envies qui dépassent nos espérances ? Car si toutes ces breloques sont ici, c’est bien qu’elles se vendent et c’est ce qui est inquiétant. Une standardisation chinoise de la vie quotidienne européenne, voire mondiale,en dépend.
Une journée peut vite être avalée dans ce temple de la consommation désacralisée et les porte-monnaie de toutes tailles vite asséchés. La bonne rigolade quand-même c’est de se retrouver comme Tintin croulant sous les achats. Si fier d’avoir su éviter les tentations du marchand ambulant, portugais celui-là*. Mais que va-t-on faire de tous ces objets 1er prix dont on n’avait pas idée qu'ils existassent avant? Qu’importe, l’ambiance est là, c’est elle qui nous fait dégainer la devise si facilement. Et puis c’est tellement exotique de baragouiner le hongrois avec des Chinois. Il est amusant de vivre les lieux avec ces derniers : les repas sont pris à même le stand, les vendeuses gardent sur place leur bébé, les joueurs de cartes s’installent sur un carton retourné, les porteurs prioritaires roulent sur les pieds à la traîne... Parfois une descente de police crée même quelques remue-ménage.
Et bonheur de bonheur, pour ceux qui ne le sauraient pas, un marché chinois version flambant neuf est disponible, vendant inexorablement la même m…archandise. C’est l’ASIA CENTER. A l’entrée, une pierre quasi tombale expose ses grandes théories : philosophie de la vie qui change et se développe, à l’instar du temps, de la terre et de l’espace où tout évolue… Ça marche aussi pour le commerce. Le chinois ici traduit en anglais a oublié le hongrois, mais la langue n’est sans doute plus qu’un détail dans le monde made in China. Contre toute attente, à l’intérieur, côtoyant ascenseurs transparents et cafés high-tech, ce sont toutes les petites échoppes du marché chinois que l’on retrouve sur 100 000m2, les containers en moins.
Une dernière adresse pour la route: connaissez-vous le marché du bois de ville? Le parallèle est intéressant car l’on y trouve tous les produits de la consommation courante version débrouille hongroise. Il y en a pour tous les besoins de la vie quotidienne : manger, s’habiller, (se) laver, se divertir (films, jeux, jouets), se cultiver (livres, musique, brocante), se recharger (piles, boissons énergétiques), dépanner (disques durs, cables, télécommandes, scotchs). Ce marché dominical est d’une extrême importance car il a un rôle de soupape sociale. En effet, les prix y sont en moyenne 30 à 40% moins cher qu’en magasin. Genre lessives, papier alu, chocolat ou rasoir dernier cri. Les étiquettes des produits sont de véritables cours de langues et personne ne cherche à savoir d’où tout cela provient.
Vive le commerce équitable!
Marché chinois Kôbányai út VIIIe arr. (6h-18h tous les jours, 16h le WE)
Asia Center Szent Mihályi út
XVe arrt.(6h-20h tous les jours)
Marché de Városliget Zichy Mihály út XIVe arrt. (tous les dimanches)
*Vous aurez reconnu le senhor Oliveira da Figueira de Tintin et les cigares du pharaon
Emmanuelle Sacchet
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