EXPO: Vacuum noise au Trafó

EXPO: Vacuum noise au Trafó

Depuis approximativement un siècle et demi, la classe ouvrière apparaît régulièrement comme sujet des arts représentatifs. Cependant, les temps du réalisme socialiste et de l’agit-prop sont révolus, les régimes politico-économiques ont pris une tournure radicale à l’échelle internationale et même universelle, la crise est devenue un phénomène quotidien, les sociétés sont passées du stade collectif au stade individuel se focalisant non plus sur une classe sociale, mais sur l’individu. Ce glissement des centres d’intérêt se voit également illustré dans le comportement de l’artiste, lui-même créateur individuel, qui se met à interroger la figure de l’ouvrier tout en mettant en question sa propre position.

L’exposition intitulée VacuumNoise reflète la multiplication des approches individuelles et individualisées. L’espace de la salle d’exposition du Trafó est parsemé d’écrans, le son de quelques vidéos remplit le sous-sol de murmures. A gauche de l’entrée, dans la pénombre, des fragments de documentaires et de longs métrages se suivent dans le montage analytique de Harun Farocki. Les ouvriers quittent l’usine marie les images d’ouvriers défilant en foule après les heures de travail à celles de Marilyn Monroe incarnant une ouvrière dans une fiction américaine idéalisée qui essaie toutefois de représenter le travailleur en tant qu’être humain ayant des sentiments et une vie privée.

En regardant les trois portraits parallèles filmés par Artur Zmijewski (Danuta, Patricia, Salvatore), tout intellectuel peut être tenté de reconnaître avec plus ou moins de remords que ceux qui travaillent dans des domaines moins spectaculaires ont également leur vie à eux. Inutile de décrire les fonctions de ces trois « personnages », ils vont à l’usine tous les jours, accompagnent leurs enfants à la maternelle, mangent et dorment – et supportent la présence de la caméra pendant 24 heures qui, au lieu de diminuer la distance entre le documentariste et ses sujets, ne fait que creuser le gouffre qui les sépare. Bel aveu sur le rapport commercial de l’ouvrier rendu « acteur amateur » et l’artiste cherchant à se déculpabiliser.

Dans Chinese Sweet, Chinese Pretty de Doa Aly, les commerçants chinois dans les rues du Caire sont suivis pendant leur travail, car la caméra n’a pas pu percer la frontière qui cache au monde cette communauté fermée. Il reste donc à observer ces hommes et femmes qui « fonctionnent » inlassablement à l’intérieur d’une société qui les repousse. Vu de l’Europe, l’exemple est d’autant plus déroutant.

Les deux photos illustrant la vidéo d’Isa Rosenberger sont peut-être plus impressionnantes que la vidéo elle-même : après la fermeture de nombreuses usines sur le territoire de l’ancienne RDA, les statues censées représenter la noblesse du travail ont également disparu. Isa Rosenberger a retrouvé l’ouvrière qui a servi de modèle à l’un de ces monuments et a rendu, vivante, au socle abandonné cette figure qui a, depuis, perdu toutes ses illusions.

Le film muet de 16 mm de Chen Chieh-jen est différent des autres par sa poésie. Sous les lents mouvements de la caméra, nous avons du mal à décider s’il s’agit d’un regard nostalgique ou plein de reproche. Un requiem magnifiquement composé et émouvant pour ces dizaines de vieilles couturières.

Enfin, au fond de la salle, un uniforme (grandeur un peu plus que nature) prêt à être enfilé, celui de l’Ouvrier de demain, œuvre d’István Csákány. Symbole de la présence et de l’absence à la fois qui unit l’ouvrier et l’artiste, ce dernier ayant travaillé la matière de ses blanches mains…

 

 

Sophie Lemeunier

 

 

 

Exposition Vacuum Noise au Trafó jusqu’au 29 mars

Evénement annexe : les 17 et 18 mars à 18h, quatre films de Harun Farocki seront projetés au cinéma KINO.

 

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