Explorateurs urbains
Les organisateurs des tours Beyond Budapest
Le VIIIe arrondissement, connu auparavant comme le "ghetto" de Budapest, est pour la première fois mentionné dans le nouveau guide Le Petit Futé - Hongrie comme un endroit à visiter dans la capitale hongroise.
Cette évolution, on la doit à un jeune couple, Manó Domján et Gyuri Baglyas, les deux fondateurs de Beyond Budapest Sightseeing, qui organisent des tours en anglais et en hongrois sur la mémoire historiques et les challenges contemporains de ce quartier, traditionnellement déserté par les touristes. Leur initiative a récemment été choisie parmi les meilleures exemples de la créativité et de l’innovation par l’Union européenne. Le JFB a rencontré Manó Domján et Gyuri Baglyas juste avant qu’ils ne partent présenter leur projet à Bruxelles.
JFB: Pourquoi avez vous pensé que le VIIIe arrondissement pouvait être intéressant pour les touristes?
Gyuri Baglyas: En voyageant à l'étranger, nous avons découvert plusieurs endroits qui n’étaient pas recommandés dans les guides, mais qui étaient à nos yeux souvent plus intéressants que les monuments traditionnellement visités. Par exemple le marché de poisson de Riga, en Lettonie, est unique et formidable à visiter bien que situé dans un quartier très pauvre. Quand nous avons déménagé dans le VIIe arrondissement, nous avons exploré plein d’endroits de cet ordre. Le poète Miklós Radnóti avait par exemple vécu dans l’immeuble où nous cherchions un appartement à louer ou encore le plus grand atelier de gravure de pierre de Budapest est installé juste dans notre voisinage. De plus nous avons rencontré beaucoup de gens accueillants.
Manó Domján: Au début nous n'étions pas sûrs que ces petits détails intéresseraient d'autres que nous et nos amis. Cependant, à l’Université - Gyuri étudiait à la faculté de socio-politique et moi je passais mon diplôme d'assistante sociale - nous avons accueilli des étudiants américains avec qui nous nous sommes souvent promenés dans cet arrondissement la nuit. Puis nous avons fait des recherches pendant un an pour rassembler une documentation sur l'arrondissement à propos duquel il n'existe pas de livre d’histoire. Et nous avons créé notre entreprise il y a environ 2 ans.
JFB: Qu’est ce qui peut attirer les étrangers dans ce que vous montrez? Est-ce le côté mythique du ghetto les motivent à venir?
Gy.B.: Nous n'avons jamais voulu montrer la pauvreté mais plutôt la complexité de l’arrondissement. C’est une partie de Budapest qui est très riche en valeurs, même si elles n'apparaissent pas au grand jour. On se promène dans des rues auparavant habitées par l'aristocratie du Palotanegyed, à côté de Musée National, puis on traverse le «körút» pour montrer l’autre moitié de Józsefváros. Cela permet de donner une image du développement de Budapest, très important ces dernières années, mais aussi des changements ethniques au cœur de la capitale.
JFB: J’ai vu que vous intituliez certains tours les «last minute show». Est-ce en relation avec les reconstructions dans l’arrondissement?
M.D.: On n’utilise plus vraiment ce slogan. Au début on pensait que les constructions dirigées par l’entreprise REV8, chargé des investissements dans le quartier par les autorités locales, allaient changer complètement et définitivement l’image du quartier.
Gy.B.: Finalement ces changements ne sont pas aussi négatifs que dans les arrondissements voisins. Par exemple les habitants, surtout les pauvres, n'ont pas dû quitter leurs logement, comme c'était le cas dans le IXe arrondissement.
JFB: Vous vous rendez aussi chez des familles rromes avec les groupes, un programme peu répandu dans les visites touristiques traditionnels. Comment avez vous noué des contacts dans ce milieu très fermé, et pourquoi laissent-ils entrer des groupes entiers dans leur appartement?
M.D.: Pour le moment, on a l’habitude d’aller chez une seule famille que nous avons contacté via des amis tziganes.
Gy.B.: On leur a expliqué qu’ils pouvaient contribuer à changer l’image que certains ont de leur minorité en présentant leur culture lors de ces tours. Éva néni, la dame à qui l'on rend visite avec des groupes lors de ces tours, fait partie d’une très ancienne famille de musiciens. Elle est une sage et porte-parole la communauté tzigane. Les visiteurs lui posent surtout des questions qui tournent autour des préjugés sur les Rroms, souvent sur le rôle des femmes dans la famille. Il est difficile de comprendre une culture qu’on n’a jamais expérimenté.
JFB: Qui vient en général aux tours?
Gy.B.: Nous n’avons pas fait de recherche ou de sondage sur les touristes susceptibles d'être intéressés par nos visites, mais nous avions des idées préconçues. Nous pensions par exemple que nous pouvions probablement attirer les jeunes backpackers. Finalement nous n'avons encore jamais eu de backpackers ni beaucoup de jeunes parmi nos visiteurs.
M.D.: Les visiteurs sont beaucoup plus divers que prévu. La majorité a déjà vécu à Budapest ou a un contact en Hongrie. A chaque fois, ils nous racontent leurs propres histoires, comment une rue était par exemple pendant la révolution de 1956 et qui était le vendeur dans tel magasin lors de la IIe guerre mondiale. Ceux qui ne viennent à Budapest que quelques jours ne cherchent pas à connaître à la ville en profondeur. Ce qui est plus surprenant, c'est que beaucoup de Hongrois sont aussi intéressés par ces visites. Une dizaine de classes de lycéens nous a déjà contacté. L’histoire est très concentré dans cet arrondissement: beaucoup de sites sont liés à la révolution de 1848 ou à la IIe GM. Ainsi tout ce qu'ils apprennent à l'école devient tangible.
Gy.B.: Des familles hongroises viennent même parfois de province. Nous étions par exemple ravis quand une famille de Balatonf_zf_ a fait le voyage à Budapest pour participer à un tour!
JFB.: L’année dernière vous avez gagné le prix Jeune entrepreneur de l’année 2008, distribué par Magyar Vállalkozásfejlesztési Alapítvány (Fondation Hongroise pour le Développement des Entreprises), et cette année l'Union européenne a également reconnu votre projet. Comment expliquez-vous votre succès en tant qu'entrepreneurs débutants?
Gy.B: L'année dernière, nous avons simplement déposé notre candidature et nous avons gagné le prix. Cette année quelqu'un nous a appelé du Ministère de la culture et de l'éducation pour nous suggérer de lui envoyer une documentation sur notre projet afin de le proposer parmi les meilleurs exemples dans la campagne organisée à l'occasion de l'année européenne de la créati-vité et de l'innovation. Nous ne connaissions même pas cette personne et elle n'avait jamais participé à nos tours, elle en avait seulement entendu parler. Je pense que les gens savent que notre travail est de bonne volonté et que l'histoire de l'arrondissement nous intéresse beaucoup. Nous ne faisons pas de marketing, notre reconnaissance passe seulement de bouche à oreille.
Judit Zeisler