Expats triés
De nombreuses nationalités sont présentes sur les terres magyares et particulièrement à Budapest. Voici une petite classification basée sur les témoignages des intéressés et des Hongrois qui les fréquentent. On peut considérer que les expatriés forment deux grands groupes : les communautaristes et les polyvalents.
Les communautaristes
Le communautariste vit pour son travail et sa famille. Quand il ne travaille pas, il préfère fréquenter ses pairs pour recréer, autant que possible, son univers d’origine. Il ne dédaigne pas un peu de culture locale de temps en temps, mais sans forcer.
A la première place, tout seigneur, tout honneur, le CSP ++ classique, expatrié pur jus, avec dans la majorité des cas, sa petite famille. Les enfants suivent leur scolarité dans leur langue ou sont en pension au pays (comme d’habitude les Américains sont les plus favorisés avec l’infrastructure la plus développée) et les parents entretiennent de bonnes relations. On se plaint un peu de ne pas trouver tout comme chez soi (j’ai même trouvé un Anglais nostalgique des bons petits plats de chez lui...), mais l’on profite avec joie de la grande maison et des avantages d’être beaucoup plus riche que la population locale. Il faut remarquer, que contrairement à ce que l’on pourrait croire, beaucoup, veulent, voudraient ou auraient voulu apprendre le hongrois, certains même le parlent ! Cette population aime bruncher en s’inquiétant de l’après-Hongrie et des études que pourront faire les chérubins. Les femmes au foyer ont, encore plus que dans leur pays d’origine, l’impression de tout faire, voire, pour certaines l’impression de se sacrifier (vous voyez, madame, je ne vous ai pas nommée).
Le CSP++ bobo, qui forme la seconde catégorie, a les mêmes caractéristiques avec une volonté plus grande de s’intégrer. Ces célibataires ou jeunes couples habitent plus volontiers un appartement en centre-ville. C’est une population qui préfère les petits endroits cosy aux classiques de la restauration internationale mais qui participe volontiers aux entre-soi de sa communauté. Les femmes de cette catégorie partagent les problèmes de leurs consœurs plus bourgeoises avec, en plus, l’envie permanente de se remettre à travailler (certaines, même, le font !). Les plus charmants abusent de la cuisine italienne.
Les Chinois forment une catégorie de communautaristes à part du point de vue de l’apprentissage de la langue. De fait, les Chinois parlent hongrois dans leur immense majorité. Tout comme à Paris, le commerçant chinois devient vite une composante naturelle de la société locale et finit même par fermer le dimanche et prendre des vacances, privant ainsi de déjeuner la moitié des employés des rues avoisinantes !
Les polyvalents
Les polyvalents forment une classe très hétérogène. Plus intégrés à la société locale, leurs liens communautaires dépendent souvent de leur fonction. Ils fréquentent tout le monde et parlent le plus souvent trois langues étrangères, sauf les anglophones qui ne sont pas toujours très motivés. Les polyvalents sont motivés le plus souvent par l’amour, parfois par l’argent et toujours par le goût de l’aventure.
On trouve donc en première place les amoureux transis (ceux qui arrivent l’hiver avec du soleil plein leur cœur). Ils se sont rencontrés dans un bus à Ankara, dans le métro à Paris, dans un restaurant à Londres, parfois à Budapest, et n’envisagent pas de vivre l’un sans l’autre. Comme les Hongrois ne quittent pas volontiers leurs steppes natales, le couple vit donc ici. L’amoureux (ou l’amoureuse ) apprend le hongrois pour pouvoir supporter les déjeuners familiaux du dimanche et gagner sa vie (dans l’ordre !). Il défend les Hongrois contre toute médisance étrangère, même s’il dit bien pire à ses amis restés au pays. Il est employé, entrepreneur, ou fait des petits boulots. Souvent, son voisin de palier hongrois enrage de voir que cet étranger est le chouchou de la serveuse du bar d’en bas. Quand il se retrouve en province, il devient vite un notable de sa petite ville, c’est l’expatrié préféré des Hongrois.
Viennent ensuite les amoureux du pays. Certains sont d’origine hongroise et recherchent leurs racines, d’autres ont un diplôme de hongrois à utiliser (un diplôme qui suscite, paraît-il, un sourire gêné dans les ANPE), ou se sentent simplement chez eux sans comprendre pourquoi. Ceux-là savent tout, même s’ils ne maîtrisent pas tous la langue de Karinthy (si vous ne connaissez pas Frigyes Karinthy, précipitez-vous dans une librairie, vous n’avez rien de plus urgent !), ce qui ne signifie pas qu’ils approuvent toujours.
Pour finir, le polyvalent par nature, l’homme venu exporter son savoir-faire en affaires parce qu’il sentait que la réussite l’attendait au coin de Bank utca (par exemple). Il ne parle pas toujours hongrois et, dans de rares cas, ne connaît du pays que son actualité récente, mais il en veut. Il sait que ses forints deviendront un jour des euros et vénère la loi du commerce telle qu’elle se pratique ici. Il appartient à toutes les catégories alternativement car il faut rester proche du client. Caméléon social, il pense comme vous ou presque et tout le monde l’aime. On le trouve à Budapest comme en province, solide et souriant, un exemple d’optimisme.
Xavier Glangeaud