Examens dans la juridiction

Examens dans la juridiction

Verdicts et jugements

Selon les bureaux d’assistance judiciaire, les tribunaux refusent de faire face à leurs erreurs. Pour prouver le contraire, Zoltán Lomnici, président de la Cour suprême, a ordonné un audit dans le corps juridictionnel.

Csaba Újkéry, président du Tribunal départemental de Somogy et membre du Conseil National de la Justice (CNJ), a fait parvenir une lettre étrange à l’Alliance Internationale des Associations d'Assistance Judiciaire Nationales. Il y écrit, entre autres : « Journalistes et avocats portent des jugements prématurés devant l’opinion publique du pays, ils ouvrent de nouveaux débats sur des décisions sans appel ou pas, ils les jugent, comme s’ils se prenaient pour une autorité de troisième instance. » Selon Újkéry, ces critiques accompagnant les jugements menaçant la confiance générale face aux tribunaux. Dans sa lettre, il sollicite l’organisme international d’intervenir, par l’intermédiaire de l’Union européenne, pour que le gouvernement hongrois prenne les mesures nécessaires en vue du bon fonctionnement des tribunaux. En réalité, cette lettre tient lieu de dépôt de plainte, et le fait que son auteur n’a pas choisi le droit chemin pour atteindre ceux qui se permettent de critiquer la juridiction hongroise, prouve que les tribunaux ne veulent pas complètement se dévoiler.
Partialité.
 Le débat professionnel et social sur la pratique judiciaire hongroise s’élargit progressivement. Personne ne sait pour le moment quand l’alliance judiciaire internationale avancera une analyse, cependant, parallèlement, plusieurs organismes nationaux et internationaux des droits de l’Homme tentent d'analyser la juridiction hongroise pour savoir, par exemple, si l’on peut découvrir des comportements racistes dans la pratique judiciaire. La question est à creuser car ces dernières années, lors des litiges concernant des Roms, les organismes de protection juridique ont repéré une attitude partiale. Les frères Gán, d’origine tzigane, arrêtés sous l’inculpation de meurtre en 2003 sont restés en détention provisoire, alors qu'ils étaient innocents, pendant un an et demi. Et lorsqu’ils ont exigé la réparation du préjudice et une indemnisation, le juge, prétextant que leur QI était inférieur à la moyenne, ils n’avaient pas été trop éprouvés par leur détention de 15 mois, leur a accordé 1,2 million de forints au lieu des 2 millions demandés. (A propos des préjudices touchant des Roms ces dernières années : voir l’encadré.) Sous l’influence des critiques, Zoltán Lomnici, président de la Cour suprême et du CNJ (Conseil National de la Justice) a chargé les Facultés de Droit de l’Université Catholique Pázmány Péter et de l’Université de Pécs, ainsi que l’Institut de Politique Publique Eötvös Károly, de faire l’audit de toute la structure. Quatre examens parallèles sont donc en cours.
Qu’il y ait des erreurs dans la juridiction ne serait pas un problème en soi, car tout système comporte des lacunes, souligne Zoltán Fleck, sociologue de droit et directeur de département à la Faculté de Droit de l’Université Eötvös Loránd de Budapest. Ce qui est plus grave est que les autorités refusent d’y faire face. «On essaye de voiler, de dissimuler les erreurs», affirme-t-il. L’affaire Pusoma en est un exemple éclatant. Dans les années 1990, Dénes Pusoma, condamné à tort pour meurtre, s’était suicidé après sa libération. Le président du Tribunal Départemental de Heves où l’affaire avait été plaidée a déclaré début mai que le verdict avait été en tous points  légitime et professionnel. «Le message de cette déclaration est symbolique : on ne peut rien attendre d’autre des tribunaux que la condamnation d’innocents de manière professionnelle et légitime», note Zoltán Fleck, soulignant le caractère absurde de cette explication. Cependant, il estime que le silence des autorités quant à l’affaire de Mór est tout à fait compréhensible, étant donné que l’enquête et la vérification des nouvelles preuves et informations sont toujours en cours. «Mais si, à la fin de l’investigation, le tribunal essayait de se défendre en disant que c’est la police judiciaire et le parquet qui ont mené l’affaire dans un cul-de-sac, cela menacerait l’Etat de droit», ajoute-t-il. Selon son point de vue, dans un Etat de droit, il est inadmissible de prétexter les erreurs des autorités inférieures pour expliquer ses propres erreurs.
Mais ces affaires ne sont que les cerises sur le gâteau. Il est bien évident qu’il y a beaucoup plus de jugements fautifs, mais faute de contrôles et d’enquêtes professionnels, il n’est pas facile de décrire le niveau de la pratique judiciaire de manière univoque. «Dix ans après les réformes, nous nous posons toujours la question de savoir si l’on peut parler dans la presse des jugements déjà classés, des tendances juridictionnelles ou des problèmes structuraux». Par là, Zoltán Fleck explique que malgré la réforme de la loi en 1997, le corps juridictionnel ne s’est toujours pas «démocratisé». En même temps, c’est le président du CNJ qui a, en personne, ordonné l’audit des tribunaux, ce qui témoigne incontestablement d’une ouverture. «Que les mesures nécessaires seront prises en fonction des résultats de l’expertise est une promesse très importante, un geste primordial», souligne-t-il.
Les accusations restent toutefois incompréhensibles aux yeux de Zoltán Lomnici, qui a demandé il y a quelques jours au service de presse de la CS de compter les déclarations qu’il avait faites depuis sa nomination et dans lesquelles il aurait parlé d’une interdiction de critiquer les jugements de la cour. «Mes collaborateurs n’en ont trouvé aucune», assure le président de la Cour suprême. Au contraire, il a maintes fois souligné que lui-même n’était point d’accord avec le régime légal à la majorité des deux tiers selon lequel les juges ne sont pas autorisés à parler de leurs jugements.
Selon lui, l’audit qu’il a ordonné pour analyser le fonctionnement du corps juridictionnel et l’application des réformes entreprises il y a dix ans, prouve que les tribunaux hongrois supportent même très bien la critique. D’après le président de la CS et du CNJ,  cet examen s’est fait attendre si longtemps à cause du retard de l’une des principales réformes : l’élargissement de la juridiction sur quatre degrés, avec l’introduction des tribunaux de grand instance. Comme ceux de Gyôr et de Debrecen, par exemple, ne sont établis que depuis deux ans, il aurait été impossible d’étudier cet élément très important des réformes il y a cinq ans.
Appliquer des corrections au système.
Lomnici est prêt à se soumettre aux feux croisés des critiques et ne comprend pas pourquoi la troisième branche du pouvoir est accusée de ne pas vouloir entendre les réprobations. «Nous sommes ouverts à toute appréciation, qu’elle soit négative ou positive, car nous avons besoin de transparence. Il faut cependant vérifier si ces avis sont juridiquement fondés pour voir clairement sur quels points nous devrons appliquer des corrections au système », remarque-t-il. Il souligne en même temps que, à l’heure actuelle, les points les plus contestés à propos de la direction et du fonctionnement du CNJ, et des tribunaux locaux sont réglementés par des lois à la majorité des deux tiers. «Dans de nombreux cas, ce n’est pas avec nous que les détracteurs débattent, mais avec les lois.»
László Majtényi, directeur de l’Institut de Politique Publique Eötvös Károly (qui, il y a quelques jours, a été désigné comme candidat au poste de délégué parlementaire de la protection de droits du citoyen par le président de la République, László Sólyom) estime anticonstitutionnel que les personnes concernées n’aient aucun moyen de faire une déclaration pendant que «cet avocat ou un autre se prononce sur toutes les chaînes télévisées, met en doute la compétence professionnel et la neutralité du juge». Majtényi rendrait possible au juge de répondre, de réagir, mais ne l’y obligerait pas. Le candidat pour le poste de délégué parlementaire pense lui aussi que le système a besoin d’autres réformes, et il est certain que le contrôle professionnel des juges et des tribunaux devra être renforcé. Il a également cité un phénomène positif : à partir de début juillet, chaque tribunal mettra au grand jour une version anonyme des jugements définitifs sur leurs sites Internet. Ils en omettront toute information pouvant servir à identifier les participants au procès et toute donnée pouvant porter atteinte à l’intimité. Sous cette forme, les affaires seront accessibles au public, laïc ou professionnel. La publication prescrite par la loi sur la liberté de l’information électronique - élaborée justement par l’Institut de Politique Publique Eötvös Károly -  est obligatoire à partir du 1er juillet prochain. Selon Majtényi, il est tout à fait absurde que ni ceux qui cherchaient une réparation juridique, ni leurs représentants légaux, ni le grand public ne pouvaient connaître jusqu’à présent le droit vivant, c’est-à-dire la pratique judiciaire actuelle à laquelle les tribunaux font si souvent appel dans leurs décisions.
Hajnalka Cseke
Traduit par Zsófi Molnár

Exemples d’indemnisations pour erreur judiciaire

1. Dénes Pusoma a été incarcéré pour meurtre en 1994. Ce n’est qu’au bout de 26 mois que son innocence a été reconnue. Il a par la suite demandé une indemnisation pour les mois passés en prison. Le tribunal a rejeté sa demande en prétextant que Pusoma n’avait pas fait appel contre le jugement de premier degré. L’affaire judiciaire qui a duré de longues années l’a considérablement affaibli nerveusement et il s’est suicidé en 1997.

2. Imre Kocsis et ses compagnons ont été en garde à vue pendant 72 heures. Mais comme les policiers se référaient à une disposition caduque, le tribunal a accordé une réparation pécuniaire de 2,5 millions de forints pour les quatre hommes (Kocsis en a perçu 1 million).

3. Ferenc Burka et son fils ont été accusés d’homicide volontaire, commis avec une cruauté particulière. Ils ont passé 5 ans et 8 mois en détention préventive, pourtant tous deux  étaient innocents. Leur avocat a exigé 1,5 milliard de forints pour ses protégés, faisant référence à la réparation pécuniaire jugée pour Kocsis. («Si pour trois jours, on doit 1 million, pour presque six ans, ça fait 1,5 milliard», a-t-il argumenté.) Finalement, père et fils ont reçu 20 et 25 millions de forints de réparation.

4. En 2003, les frères Gán accusés d’homicide ont passé un an et demi en détention préventive. Ils ont demandé 2 millions de forints chacun, mais selon le juge, ils ne méritaient que 1,2 million.

5. László F. a passé 13 mois en détention préventive, pour soupçon de violence physique grave mettant en danger la vie d’autrui. L’enquête a finalement été close. Il a touché 1 million de forints d’indemnisation.

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