Europe : les difficiles routes de l’énergie
Alors que la Chine est désormais la première consommatrice de matières premières, que la Russie joue de ses atouts énergétiques, et que la situation dans le Golfe reste très volatile, le développement des routes européennes de l’énergie est plus important que jamais.
L’Union européenne connaît aujourd’hui une dépendance de 50% sur son approvisionnement en énergie. Cette situation pourrait ne rien avoir de très sérieux si ses fournisseurs lui garantissaient prix et/ou approvisionnement. Mais ce n’est bien sûr pas le cas. Des deux énergies fossiles, gaz et pétrole, que l’Europe est obligée d’acheminer faute d’en être suffisamment dotée, les fournisseurs sont rarement à même de garantir les importations européennes.
Les principales puissances productrices de pétrole sont par exemple des zones où cette activité, au lieu d’amener une certaine stabilité, accentue les tensions sécuritaires et/ou diplomatiques. Citons ainsi dans l’ordre de production établi par l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) pour 2006 : l’Arabie Saoudite, où la pression terroriste d’Al Qaida se fait de plus en plus menaçante envers la dynastie des Séoud ; l’Iran, dont l’implication au Liban, en Iraq, dans le dossier nucléaire, ne sont pas à même d’en faire un pôle de stabilité régionale; le Venezuela, dont les diatribes antioccidentales du président bolivarien Chavez sont autant de menaces de sélection de sa clientèle ; les Emirats Arabes Unis, dont l’unique richesse est l’or noir ; le Koweit, coincé entre Iran, Irak et Golfe persique ; ou encore le Nigéria qui a profité de quelque 300 milliards de pétrodollars depuis son indépendance sans pour autant dessiner une gouvernance et des relations de voisinage transparentes.
Il est donc clair que la sécurisation de l’approvisionnement en pétrole ne puisse se faire qu’en négociant habilement avec des régimes variés, selon les susceptibilités régionales et globales de chacun de ces pays. Leur organisation en cartel complique d’autant plus les négociations bilatérales qui dépendent ainsi d’un cercle de consensus dont l’Europe est exclue. Par ailleurs, il est nécessaire d’assurer non seulement l’approvisionnement, mais également l’acheminement des ressources.
Les deux principales routes maritimes suivent ainsi, pour la première le Golfe Persique et/ou la mer Rouge et le Canal de Suez, et pour la seconde la mer Caspienne à la mer Noire, les deux atteignant l’Europe par la Méditerranée. Ces routes posent plusieurs problèmes : la menace terroriste peut par exemple s’appliquer aux supertankers, voire directement à nos terminaux pétroliers et par ailleurs, l’environnement pâtit bien plus pratiquement de chaque naufrage de transporteur.
Ces deux dilemmes, l’approvisionnement et l’acheminement, pourraient aisément être résolus par un acteur qui représente à la fois le proche et le lointain de l’Europe : la Russie. Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), le géant russe serait doté d’environ 15% des réserves mondiales de pétrole, ce qui pourrait intéresser au premier plan l’Union européenne. La production pourrait être entendue directement avec un seul acteur, Moscou, tout en évitant le risque environnemental du transport maritime.
Mais la situation n’est pas aussi simple. Tout d’abord, oléoduc ne signifie pas forcément absence de risque pour l’environnement. Ensuite, il reste important d’avoir recours à des solutions mixtes pipelines/maritime, en fonction des composantes géographiques et géopolitiques. Le risque terroriste peut par ailleurs être beaucoup plus accru sur terre que sur mer. On a en effet pu voir utilisés les attentats contre les structures d’acheminement pétrolier comme technique récurrente de combat des guérillas irakienne, soudanaise, colombienne et nigériane. Enfin, l’Europe achète déjà 53% des exportations russes de pétrole, et aimerait bien se détacher quelque peu de cette dépendance énergétique.
Selon Ivan Krastev, directeur de l’Open Society Center à Budapest, «l’utilisation de l'énergie, par la Russie, comme une arme stratégique affectera l’Union européenne à plus d’un titre au cours de la prochaine décennie ». Cela n’est en effet pas la première fois que Moscou use de sa force de fournisseur privilégié de l’Europe et le schéma commence à être connu : une décision politique, prise par un gouvernement européen ou par l’UE, qui lui déplait, et le Kremlin réagit, avec son «bras armé» Gazprom, par une augmentation des prix, voire par la suspension de l’approvisionnement. Et Moscou sait pertinemment jouer sur les faiblesses européennes puisque couper le gaz ou le pétrole à un pays conduit souvent à le couper à d’autres, ce qui confère à cette capacité de nuisance un second degré.
Mais il n’est pas certain que la stratégie russe s’avère payante à moyen et à long terme. Car la pression de la Russie, cela s’est avéré dans d’autres questions internationales, pousse souvent les Européens à réagir de concert. Ensuite parce que l’économie contemporaine veut que lorsqu’un risque est trop grand, on diversifie ses partenaires afin de le diviser, et donc de le réduire. L’Union européenne suit ainsi désormais une stratégie de contournement du géant russe, notamment par le Caucase (axe Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie) pour le pétrole azerbaïdjanais, le gaz turkmène, tadjik ou kirghiz. Et l’extraction comme le transport d’énergie fossile se fait désormais également à partir et au travers des pays sahariens, vers la Méditerranée. Le coût du pétrole étant de toute façon exorbitant (le baril a récemment dépassé les 100$), l’Union européenne cherche ainsi à multiplier à la fois ses sources et ses voies d’acheminement.
Péter Kovács