Europe centrale : les droites en mouvement
Partout en Europe centrale, les différents partis de droite décrivent des mouvements idéologiques qui les repositionnent en transcendant le clivage traditionnel gauche-droite. Cette rénovation est peut-être à l’origine de leurs succès électoraux dans de nombreux pays européens.
La Pologne vient de vivre un revirement tout à fait significatif. Passant de la coalition conservatrice et réactionnaire du Parti Droit et Justice (PiS) des frères Kaczynski, de la Ligue des Familles Catholiques (LPR) et d’Autodéfense (Samoobrona) à la Plate-forme Civique libérale, réformatrice et proeuropéenne de Donald Tusk, les électeurs polonais ont exprimé les nouvelles oppositions de ce que l’on appelait au XXe siècle «la droite».
Le fait est que ce terme ne représente plus vraiment la réalité. En comparant les politiques nationales européennes, selon la culture politique de chacun, on s’aperçoit que les références anticommunistes, économiquement capitalistes et moralement conservatrices qui définissaient le terme de «droite», ne correspondent plus vraiment aux tendances politiques actuelles, désormais plus transversales.
L’exemple de la Hongrie est éloquent. Le SzDSz, économiquement et politiquement libéral, est actuellement en coalition avec les socialistes et non pas avec le principal parti de droite, le Fidesz. En effet, ce dernier est culturellement traditionaliste, moralement conservateur et socio-économiquement interventionniste; trois caractéristiques qui l’opposent au SzDSz.
C’est là un autre facteur des mouvements issus de la droite: ils n’hésitent plus désormais à s’allier à des partis de gauche, plus pragmatiquement, afin d’accéder à la gouvernance et de pouvoir imposer quelques mesures phares de leurs programmes électoraux. Ils renoncent ainsi à jouer la carte du clivage idéologique traditionnel qui n’a plus vraiment de sens depuis la fin du monde bipolaire et l’ouverture politique due à la mondialisation.
Ainsi, en Slovaquie, le parti social-démocrate Smer a-t-il trouvé alliance avec le Parti National Slovaque (SNS), parti d’extrême droite, et ce malgré les multiples dénonciations de son discours xénophobe et anti-Hongrois, ainsi qu’avec les nationalistes (HZDS). Le but étant de passer au-dessus de la SDKU-DS, coalition entre chrétiens-démocrates (Union Démocrate et Chrétienne Slovaque) et centre-droite (Parti démocrate). Ce faisant, il démontre que, comme dans d’autres pays européens, les jeunes démocraties postsocialistes font preuve d’une inventivité étonnante en matière politique.
La République tchèque et la Slovénie ont quant à elles en commun une distribution de la scène politique relativement réformatrice, avec respectivement le Parti Civique Démocrate (ODS) de Vaclav Klaus, économiquement libéral, culturellement conservateur et eurosceptique, et la Slovénie Libérale Démocrate (LDS) réformatrice d’Anton Rop. Ces deux mouvements sont les principaux dans ce que l’on appelle la droite mais, à l’instar de la coalition polonaise PiS-LPR-S qui vient de perdre le soutien populaire, et bien que les créneaux politiques soient nettement différents, ils viennent de subir des revers : instabilité en République tchèque et défaite récente aux élections présidentielles après celle des législatives en Slovénie.
En Serbie, la situation est encore différente, le panel politique s’étalant majoritairement à droite. Le Parti Démocrate (DS) est réformateur et pro européen, mais peut être considéré comme parti de droite, alors que le Parti Démocrate de Serbie (DSS) est politiquement conservateur et relativement nationaliste, que le G17 est profondément libéral et que le Parti Radical Serbe (SRS) est profondément nationaliste. La scène politique se joue donc essentiellement «à droite », annulant ainsi le traditionnel clivage gauche-droite. De ce point de vue, la Serbie est un laboratoire des idées de droite dans la zone, entre ultralibéralisme et ultranationalisme.
La question de l’identité est souvent profondément ancrée dans les cultures politiques centre-européennes puisque si les nations sont anciennes, les structures étatiques et les donnes politiques ne le sont pas, et l’identité nationale y est évidemment liée. C’est le cas en Serbie, mais également en Ukraine, où le parti Notre Ukraine de Viktor Iouchtchenko est réformateur libéral, que le Parti des Régions de Viktor Ianoukovitch est socialement et politiquement conservateur et que le Bloc de Ioulia Tymochenko (BUT) est culturellement conservateur et politiquement libéral. Tous sont axés sur la construction de l’identité ukrainienne, processus qui s’avère être un ferment des programmes électoraux, en termes économiques ou linguistiques, en politique intérieure ou extérieure.
Si la vie politique des pays de la zone centre-européenne est souvent matière à instabilité, on remarque que la cause et les effets de cette instabilité sont souvent identiques : les frontières politiques bougent. Cette créativité dans la manière de redessiner l’échiquier politique est une richesse qui s’exprimera sans doute davantage après les turbulences de la transition postsocialiste et qui n’est pas sans intérêt pour les autres pays européens comme pour l’Europe elle-même.
Péter Kovács