ET SON CHAGRIN D’AMOUR

ET SON CHAGRIN D’AMOUR

LE BILLET D’HUMEUR

 

Sur Király, rien ne va plus, les jeux sont faits. Entre arbustes malingres, trottoirs défoncés, papiers gras et crottes de chien, la rue du Roi, Puskin utca sous l’ancien régime, offre un visage d’abandon et de bataille perdue. Où sont les élégantes qui vont d’un pas pressé les bras chargés de paquets ?

À la nuit tombée, entre clodos, arracheurs de dents et clinquante enseigne du Donatella’s, on s’y déplace d’un trait vertical, à grandes foulées comme pour mieux la distancer. Cette rue-là, on ne se pardonne pas de l’avoir rêvée, d’avoir cru qu’elle deviendrait le poumon, la vitrine et le coeur du Pest Klezmer et Bohème que l’on aimait. Au lieu de ça, elle délimite désormais un quartier d’immeubles déracinés, asphyxiés par les chantiers. Ce Pest-là, ce petit paradis, est devenu un enfer gris.

Et tant qu’à mettre des pieds de plomb dans du béton armé, allons-y carrément. En fait d’élégantes voilà ce qu’on y voit à la volée : Bimbos surmoulées-strassées, ultra orthodoxes voilées à un retour de nuque près, néo-clown-isées, pardon néo-Wamp-isées de la tête aux pieds et… le reste. Ce reste c’est justement la très grande majorité des femmes du quartier qui vont presque invisibles à petits pas harassés. Les rares touristes à encore s’aventurer dans nos rues éventrées sont bien les seuls à trouver ça encore folklorique.

Il faut dire que sur Király, ils en voient plus que jamais de tous les contrastes, de tous les décalages entre tape-à l’œil et extrême vétusté. Je ne citerai que deux boutiques au hasard; une de prêt-à-porter de luxe pour chien et l’autre très récente de sous-chic italien à la mords-moi le lángos. Ainsi, les dernières amazones authentiques à l’arpenter encore avec assiduité sont les dames PV. Guerrières toujours prêtes, elles décochent vaillamment contraventions et avis d’immobilisation. On préférerait les voir s’agiter du balai, mais dans ce racket-là rien à gagner pour une municipalité encore loin de toute échéance électorale.

Et puis il y a bien sûr Gozsdu udvar que l’on a tant attendue et dans laquelle on erre comme dans un grand navire désert. Ici, c’est la grande rave aux courants d’air. Officiellement tout y est vendu, et à prix d’or même si partout « coming soon » y est placardé. Coming soon, coming soon…

Mais quand donc ce quartier va-t-il sortir de l’incroyable trauma post-lifting dans lequel le voilà plongé. Pour l’instant en fait de rajeunissement, il offre le spectacle désolant d’une cocotte au rabais, mal opérée et totalement négligée. Et quand on a follement aimé cette cocotte pour sa mémoire et sa beauté, c’est un peu fort de pálinka à avaler. Cette fois c’est décidé, entre elle et moi, le divorce est bel et bien consommé.

Marie-pia Garnier

 

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