Entrepreneurs prudents

Entrepreneurs prudents

Sur les marchés des pays développés, c’est avant tout dans les branches industrielles basées sur les connaissances et dans la gastronomie que les entreprises hongroises peuvent songer au succès, tout en en restant plutôt à l’écart.

 

Début mai, cela faisait exactement 1081 ans que quelques Hongrois avides de profit avaient pillé le couvent des bénédictins de Saint-Gallen, en Suisse. Bien que les techniques aient beaucoup évolué de nos jours, la Suisse n’accueille encore que très peu d’entrepreneurs hongrois, même si cela commence à changer doucement. «Même si, en général, ce sont des entreprises suisses qui s’adressent au service commercial de la Coopérative d’Investissement et de Développement commercial hongroise à Zurich, l’année dernière, 20% des enregistrements de sièges sociaux d’entreprise étaient soit hongrois soit en rapport avec des Hongrois», a confié au Figyelô Mónika Szmetana-Garai, directrice de ce service.

Un marché de contrôle idéal

Le nombre des entrepreneurs qui désirent fonder leur entreprise en Suisse a augmenté de 60% par rapport à 2005. Selon le spécialiste, ce phénomène est lié à la prise de conscience des entreprises hongroises des avantages que cela représente : les charges fiscales sont inférieures à la moyenne communautaire et, grâce à son pouvoir d’achat très fort, le pays alpin est considéré comme un excellent marché-test. Les demandes de création d’entreprise concernent avant tout le secteur tertiaire, plus particulièrement l’hôtellerie, la logistique et la mobilité de la main-d’œuvre.

Le succès n’est pourtant pas toujours au rendez-vous : l’aventure suisse de la S.A.R.L. WebEye n’a pas été très positive, bien que cette société soit, avec ses 8000 clients et sa part de 40-45%, le numéro un du marché des systèmes de positionnement des véhicules par satellite en Hongrie. Selon Richárd Kruspér la raison de cet insuccès est à chercher dans le fait que l’entreprise, voulant garder sa position de leader sur le marché intérieur hongrois, n’avait pas l’énergie nécessaire pour entretenir ses intérêts à l’étranger. «Nous nous efforçons de proposer nos services plutôt par l’intermédiaire de nos partenaires, car le fonctionnement efficace à une telle distance est quasi irréalisable», explique le directeur administratif.

La distance ne constitue cependant pas un obstacle pour tout le monde. On ne peut pas dire, par exemple, que la péninsule ibérique soit si proche et pourtant, le nombre d’entrepreneurs ayant l’intention d’y créer leur entreprise, ne cesse cependant de croître depuis le début de l’année. Il est vrai, selon le rapport de l’attaché commercial de l’ambassade de Madrid, József Végh, qu’avant la fin de l’année dernière, peu nombreux étaient les entrepreneurs hongrois qui avaient pour cible l’Espagne, même s’il y avait toujours quelques candidats, surtout parmi les sociétés les plus importantes, telles que Graphisoft, Richter, Waberer’s ou Fornetti. La plupart des nouveaux aspirants sont, quant à eux, issus du secteur des services, mais l’industrie du bâtiment n’est pas en reste, vu le fort développement récemment observé dans ce domaine. Le diplomate ne voit aucune raison économique globale derrière ce phénomène, il tend plutôt à croire que ce sont le mode de vie et le climat méditerranéens qui constituent les principaux attraits du pays. Dans les environs d’Alicante, plusieurs petites entreprises familiales hongroises ont jeté l’ancre et ont ouvert des pâtisseries ou des minimarkets, ou vendent des spécialités hongroises (lángos, kürtôskalács). Un entrepreneur de Pécs, qui souhaite garder l’anonymat, a renoncé à sa part dans une imprimerie pour tenter l’aventure. Il est actuellement propriétaire d’un bar et d’un restaurant sur la Costa Blanca. «La vie est beaucoup plus calme par ici, et cela me plaisait, je ne me suis donc pas laissé décourager par les formalités de création d’entreprise assez complexes et prolongées», raconte-t-il.

La bureaucratie ne décourage donc pas ceux qui veulent vraiment se lancer dans une telle entreprise. La Belgique, y compris la région bruxelloise exceptionnellement riche, est de ce point de vue particulièrement difficile à conquérir. Cependant, comme nous l’avons appris de la responsable des relations du commerce extérieur de l’ambassade de Hongrie à Bruxelles, le nombre d’entrepreneurs hongrois cherchant à s’implanter (surtout sous forme d’exportation de services) dans les domaines de l’industrie et du bâtiment va croissant. Les autorités, espérant par une mesure préventive freiner la fraude fiscale et le travail clandestin, les obligent donc à se faire enregistrer en Belgique, ce qui ne facilite pas la tâche de ces entreprises. Les Hongrois, intéressés par le commerce et l’hôtellerie, misent, quant à eux, sur les dépenses des employés des institutions communautaires ou internationales et des entreprises multinationales.

Zsolnay et produits cosmétiques

C’est en comptant sur ce cercle de consommateurs que Márta Kovács a ouvert son magasin proposant des produits hongrois : au début, la Porta Hungarica proposait de la porcelaine de Zsolnay ou des objets et vêtements folkloriques fabriqués à Mezôkövesd. Un an plus tard, elle a enrichi la gamme de ses produits de saucisses «csabai», de conserves de foie gras et de crème de marron. Mais aujourd’hui, ce sont les soins de beauté qui définissent le profil de la boutique. «Il est bien connu que la formation spécialisée est assez superficielle dans la région, tout comme le fait que les esthéticiennes hongroises sont hors paire», explique la propriétaire, en ajoutant qu’avec un bon comptable et la connaissance plus ou moins approfondie de la langue française, se débrouiller dans les labyrinthes de l’administration est un jeu d’enfant.

Le secteur des services est également privilégié sur les terres britanniques. Ainsi, plusieurs restaurants font figurer sur leur carte la goulache préparée au chaudron - même si elle ne ressemble à l’originale que dans sa consistance et n’a jamais vu le chaudron. Les principaux attraits de la Grande-Bretagne pour un entrepreneur hongrois sont certainement à chercher dans la simplicité et la rapidité du processus administratif de création d’entreprise. C’est ce qui a inspiré Alexandra Sabján, chargée de mission auprès de la Chambre de Commerce et de l’Industrie du département de Tolna, qui a créé un site de vente de produits alimentaires en ligne. Lexi Hungary Ltd. distribue exclusivement des produits hongrois d’excellente qualité et a des relations commerciales en Hongrie avec plusieurs grandes sociétés et petites entreprises familiales de confiance. La plupart des clients sont des Anglais ayant déjà visité la Hongrie qui ont pris goût au «tarhonya», à la saucisse à l’ail ou encore à la barre de chocolat «Sport» lors de ces voyages. Les touristes gardent en général le souvenir des plaisirs gastronomiques de la Hongrie, c’est pour cela qu’Alexandra Sabján pense bientôt compléter sa boutique virtuelle d’un vrai magasin et d’un restaurant.

Notre enquête improvisée dans le réseau de l’ITDH à l’étranger montre bien que notre partenaire commercial le plus important, l’Allemagne, ne figure pas parmi les cibles privilégiées de la délocalisation du capital hongrois. Il est vrai que nombre d’entreprises «hongroises» y sont enregistrées, mais leurs propriétaires vivent en Allemagne depuis déjà trente ou quarante ans. Et la concurrence acharnée ne favorise pas non plus l’apparition de nouvelles sociétés de catégorie moyenne. Par ailleurs, la confiance n’est pas au beau fixe entre les deux pays depuis la série de razzias lancée par les autorités allemandes il y a trois ans, lors desquelles plusieurs entreprises hongroises ont été accusées de travail au noir, de contrebande, de manquement au paiement des charges et des cotisations, etc... La situation ne s’est pas beaucoup améliorée depuis lors, même après les jugements favorables des tribunaux allemands qui ont souligné que ces actions avaient manqué de tout fondement légal.

Le peu d’enthousiasme pour la création d’entreprise dans le monde occidental ne s’explique pourtant pas seulement par la rigidité de l’accueil. Etant donné le grand nombre d’entreprises contraintes de refuser des commandes à cause des difficultés de financement, un réseau d’investissement du capital moins bureaucratique, moins lourd et moins risqué ainsi que l’assurance de crédits à l’exportation seraient les bienvenus. Andrea Szalavetz, attachée scientifique de l’Institut de Recherche en Economie Mondiale de l’Académie hongroise des Sciences pense pourtant qu’il y a des branches dans lesquelles même les petites entreprises hongroises peuvent saisir la balle au bond en Europe occidentale, en Amérique du Nord, voire en Asie. Ce sont avant tout les sociétés basées sur «la matière grise» (techniques de l’information, biotechnologie, etc...) qui détiennent ce potentiel, dont plusieurs sont bien cotées à l’échelle globale. C’est le cas de la S.A. budapestoise Semilab, présente à tous les coins du monde, avec des filiales propres aux Etats-Unis et en Chine, qui fabrique des appareils de mesure professionnels pour l’industrie des corps semi-conducteurs et photovoltaïques. La société, qui a quitté en 1989 le cadre de l’Institut de recherche de l’Académie des Sciences qui l’hébergeait, est un excellent exemple pour illustrer qu’on peut très bien «se débrouiller», c’est-à-dire conquérir le marché par le biais de filiales.

Solutions particulières

La S.A.R.L. Lasram Engineering, fabriquant de lasers industriels et médicaux, favorise également une structure de coopération particulière : les instruments dont la conception est entièrement hongroise sont réalisés avec un design unique, imaginé par ses partenaires allemands. Et ce sont ces derniers qui les lancent sur le marché sous leur propre marque, avec une inscription Made in Germany. Cette solution qui demande de la part de Lasram une grande concentration et une qualité de fabrication répondant aux exigences européennes, l’épargne en même temps des charges et des frais de la distribution commerciale, du marketing et du contrôle de qualité, qui dépasseraient effectivement les moyens de cette entreprise basée avant tout sur les capacités inventives de ses employés. «Les réactions et les nouvelles orientations du marché nous permettent en même temps de connaître la nature de la demande actuelle», explique Attila Kún, directeur commercial. L’entreprise de propriété 100% hongroise commercialise sa série de produits nommée «Opal» sur le marché hongrois et, par l’intermédiaire d’un réseau de distribution, sur des marchés allant de la Suède à la Corée du Sud, sous sa propre marque. Mais la concentration récente de la fabrication des appareils médicaux et la présence envahissante des produits moins chers issus des pays asiatiques ne facilitent pas cette activité commerciale. Ce n’est donc pas par hasard si la société s’est vue contrainte de resserrer son réseau de distribution, faute de pouvoir enregistrer les résultats attendus.

 

Csongor Csák

Traduit par Zsófi Molnár

Catégorie