Entrepreneurs “forcés”
Avec le changement de régime, une nouvelle forme d'entrepreneuriat a vu le jour sous la forme des Bt. et des Kft. Une situation dont les effets pervers ne manqueront pas de ressurgir tôt ou tard. En attendant, les uns et les autres s'accommodent de ce qu’il est encore convenu d’appeler l’entrepreneuriat “forcé”.
Suite au changement de régime, de nombreuses usines et entreprises ont fermé leurs portes et plusieurs milliers d'employés issus de ces anciennes firmes ont dû trouver un nouveau cadre d'activités. Une nouvelle législation a très rapidement permis la création de sociétés en commandite simple, les Bt. (Betéti társaság), et de sociétés à responsabilité limitée, les Kft. (Korlátolt felelősségû társaság). Plusieurs milliers de Bt. et de Kft. ont ainsi été créées en peu de temps et souvent sans réelle expérience professionnelle antérieure. Ceux qui voulaient tenter leur chance seuls, devenaient donc des entrepreneurs individuels.
Les grandes sociétés qui n'ont pas cessé leurs activités avec le changement de régime, et dont la majeure partie a été privatisée, ont maintenu à leur poste leur main d’œuvre la plus qualifiée. Comme il devenait de plus en plus coûteux pour ces entreprises de maintenir le statut de leurs employés en payant les impôts, les assurances maladie, les cotisations de pension, etc. auxquelles elles étaient désormais soumises, elles ont forcé ces derniers à devenir des entrepreneurs individuels ou membres d’entreprises individuelles, souvent des Bt., en leur demandant de facturer leurs services plutôt que de les salarier. De cette manière, ces sociétés n'avaient à payer que les coûts des services rendus à proprement parlé et toutes les autres cotisations (impôt sur le revenu, impôts spécifiques aux activités commerciales, etc.) étaient à la charge des entrepreneur “forcés”. Une version un peu plus humaine s’est aussi répandue dans les années 1990 et consistait à diviser en deux le revenu de l'employé, ainsi l’employeur n’avait-il à payer de cotisations que d’après la moitié de son salaire, l’autre partie du travail effectué étant facturée par l'entrepreneur.
Le problème de ce système est que ces entrepreneurs individuels et membres de Bt. ou de Kft. ne payent dans la plupart des cas que les coûts minimums au titre de leurs cotisations sociales et qu’ils sont très souvent enregistrés au salaire minimum pour payer le moins d'impôts possible. Or cela causera de graves problèmes pour plusieurs milliers de personnes dans un avenir proche: ces gens n’auront droit qu’à une pension extrêmement faible, à un service médical de base, c’est à dire qu’en cas d’intervention médicale importante, ils ne seront pas couverts par l’assurance maladie et devront payer la différence des frais médicaux engagés. Ce système d’entrepreneuriat “forcé” est en revanche particulièrement avantageux pour les employeurs et, en période d’activité, pour les entrepreneurs eux-même car, de cette manière, ils touchent un revenu net plus élevé. Mais on peut déjà prévoir un certain chaos pour la période inactive de ces derniers: qui paiera les coûts sanitaires de ces générations qui n'ont pas cotisé suffisamment pendant leurs années actives?
La tentation est forte de recourir à ce système car la législation sur les sociétés rend extrêmement simple la création d'une Bt. ou d'une Kft. La première nécessite au minimum 2 personnes et pas de capital initial, la seconde exige un minimum de 500.000 HUF de capital initial et les entrepreneurs ne sont alors responsables que des fonds qu’ils injectent dans la Kft. En revanche, les détenteurs de Bt. ne sont pas personnellement couverts en cas de déconvenue financière: ils risquent ainsi de perdre leurs biens personnels car une partie de leurs biens immobiliers, leur véhicule, etc. sont souvent enregistrés au nom de leur Bt. Or de nombreuses Bt. et Kft. ont rapidement fait faillite après leur création car leurs membres n'avaient pas assez de compétences professionnelles (en économie, management, etc.) ni de connaissances juridique pour les gérer. Il y a quelques années, pour remédier à certaines de ces difficultés, le gouvernement a introduit l'impôt simplifié pour les entrepreneurs (Egyszerűsített Vállalkozói Adó, EVA), qui facilitait grandement les procédures administratives dans la gestion d'une Bt. et qui, par exemple, fixait à 30% du revenu brut l’impôt sur le revenu.
De manière générale, on constate que, dans les pays voisins ex-membres de l’ancien bloc communiste, les formes d’entrepreneuriat privés sont assez similaires à ce que l’on trouve en Hongrie, les sociétés en commandite simple et les sociétés à responsabilité limitée étant les deux formes les plus répandues. Toutefois, en Hongrie la TVA est de 25%, alors qu’elle n’atteint que 19% en Slovaquie, 20% en République Tchèque, 22% en Pologne et seulement 19% en Roumanie.
Initialement beaucoup d’entrepreneurs “forcés” ne voyaient que le côté négatif de ces nouvelles formes d'entrepreneuriat. Mais de nos jours, la plupart d'entre eux semblent se satisfaire de cette situation car ils ont découvert qu'en cotisant à minima et avec la simplification fiscale et administrative, leur situation est très souvent plus avantageuse que celle de leurs collègues employés dans le secteur public.
Bálint Seres
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