Entre chiens et loups
Un groupe de chercheurs du département d'éthologie (science qui étudie le comportement animal) de l'université ELTE de Budapest mène, depuis de nombreuses années, des recherches sur les comportements des chiens et des loups. Une étude qui a des répercutions dans la recherche en robotique et notamment dans la conception des chiens-robots.
JFB: Vous travaillez actuellement sur une étude qui intéresse grandement les chercheurs japonais en robotique. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette recherche et ses objectifs?
Enikő Kubinyi: J’étudie actuellement comment la génétique et les facteurs environnementaux peuvent affecter les différences individuelles entre les chiens. A travers cette étude, je cherche à comparer d’une part les possibilités de dressage et les différents comportements agressifs des chiens et des loups élevés de manière similaire. Des données ont été recueillies entre 2001 et 2003, lorsque mes collègues et moi-même avons élevé 13 louveteaux et 11 chiots. Cependant lorsque les loups ont atteint leur maturité (vers l’âge de 2 ans), nous avons cessé de travailler avec eux pour des raisons de sécurité. Nous avons publié plusieurs études concernant la communication de ces animaux et leur attachements à leur maître.
En fait, les études sur les loups n’ont pas grand chose à voir avec la robotique. En revanche, les chercheurs en robotique s’intéressent à différents aspects de notre travail: ils envisagent en effet de développer les comportements sociaux de robots de compagnie en se basant notamment sur le comportement des chiens. C’est pourquoi nous avons étudié les interactions entre les chiens et les humains dans différentes situations et avons décrit ces différents éléments comportementaux qui, par la suite, pourront être transposés et mis en œuvre dans la conception des robots.
Mais nous travaillons en fait dans le cadre d’un projet européen (http://lirec.eu) et les chercheurs japonais ne sont pas impliqués pour le moment.
Par ailleurs, en 2001, j’ai travaillé avec AIBO, un chien-robot japonais, considéré par un journaliste allemand, Reto U. Schneider, comme l'expérience scientifique la plus folle jamais menée. Cette expérience, et une autre étude à travers laquelle nous avons étudié comment la méthode du “clicker training” des chiens (une méthode qui consiste à renforcer les comportements souhaités du chien par une récompense qui n'est pas de la nourriture comme en méthode naturelle, mais le petit bruit "clic-clac" d'un clicker) peuvent être appliqué en robotique, furent donc les premiers pas vers l’étho-robotique.
JFB: Des études portant sur le comportement des chiens et des loups ont déjà été menées par le passé. Quelles sont les spécificités de cette recherche en particulier?
E.K.: D’une part nos loups étaient intensément socialisés. Chaque louveteau avait son propre responsable, dès l’âge de 5 ou 6 jours, avec qui il a vécu 24h/24 pendant 2 à 4 mois. Après cette période, les louveteaux ont été placé ensemble dans une ferme animale, mais leurs maître-loups leur rendaient visite chaque semaine. Personne n’a jamais observé autant de loups (13 individus) ni d'animaux aussi “socialement développés” par le passé. Le même processus a été appliqué à un groupe de chien afin de pouvoir comparer l’évolution des louveteaux et des chiots, une autre spécificité de notre recherche. D’habitude les loups sont comparés à des chiens dressés et, de ce fait, jusqu’à présent personne n’avait jamais pu déterminé si les différences étaient génétiques ou dues à des effets environnementaux.
JFB: Quand vos recherches ont-elles débutées et comment les expériences se déroulent-elles?
E.K.: Notre groupe de recherche a été fondé en 1994 et ce fur le premier groupe au monde à être entièrement dédié à l’étude des relations entre hommes et chiens. Nous avions pour hypothèse que les chiens avaient évolué pour survivre dans un environnement social humain et nous voulions découvrir les contributions des hommes et des chiens à ce rapprochement de longue date. Dans ce sens, nous nous sommes intéressés à tous les aspects comportementaux des humains et des chiens qui ont pu resserrer ces liens. Développer des compagnons artificiels n’est que l’un des aspects de notre travail, qui couvre également la communication visuelle et auditive, la connaissance sociale et physique, l’attachement et les relations sociales, la personnalité et bien d’autres aspects encore.
JFB: Quelles sont les premières conclusions de cette recherche?
E.K.: L’éthologie, en particulier le comportement des chiens, peut donner un aperçu intéressant pour le développement de compagnons de synthèse ou de robots incarnés. Bien que Reto U. Schneider ait recensé notre travail avec le robot AIBO parmi les expériences scientifiques les plus folles menées à ce jour, nos observations ont clairement établi les limites des robots-animaux lorsqu’ils sont mis en relation avec leurs congénères. Il est intéressant de constater que les AIBO, tout comme les chiens, peuvent suivre un clicker training. Toutefois, les adultes comme les enfants semblent trouver les AIBO moins intéressants puisqu’ils jouent moins longtemps avec ces robots qu’avec de vrais chiots. A vrai dire, construire des robots-animaux ne semble pas être une solution à terme.
JFB: Comment les résultats de ces études pourront-ils être exploités à des fins technologiques?
E.K.: Nous cherchons à développer une nouvelle science interdisciplinaire, l’étho-robotique, qui chercherait à savoir si – et comment – le contrôle et les dynamiques des comportements animaux peuvent être utilisés pour construire de meilleurs robots, qui ne soient toutefois pas des copies de vrais animaux. Nous espérons que la modélisation des études menées sur le comportement social des chiens pourra faire avancer la recherche dans le champ de la robotique. Mais en aucun cas nous ne souhaitons voir les robots remplacer les chiens dans nos vies, ces deux créatures doivent jouer des rôles différents à nos côtés.
Frédérique Lemerre
Pour plus de renseignement :