Elle parcourt l'Europe contre Crohn

Trois fleuves (Loire, Rhin, Danube), dix pays et soixante bornes par jour. Julie Bontemps, cadre commerciale, a décidé d’enfourcher sa bicyclette jusqu’au bout de l’EuroVelo6. Objectif : réunir un maximum de fonds et booster la recherche scientifique face à cette affection du système digestif qui touche près de 60 000 personnes en France dont son frère. Et profiter du paysage. Bien entendu !

JFB : D’Orléans à Constanta, il y a 4672 kilomètres. C’est quand même une sacrée trotte…

Julie Bontemps : J’ai toujours eu envie de traverser l’Europe à vélo. Un jour, j’ai découvert qu’une piste cyclable reliait la France à la Mer Noire. La voie est facile, plate…Je me suis dit : « Il faut que je le fasse au moins une fois dans ma vie » ! Et puis nous avons découvert que mon frère avait la maladie de Crohn. Pendant un moment, je me suis demandé comment je pouvais agir contre ça. Je ne voulais plus avoir le coup au cœur à chaque appel de ma mère me disant qu’il était à l’hôpital. Alors, j’ai pris la route.

JFB : Tous les dons sont reversés à une association. Tu peux nous en dire plus ?

J.B. : Je me suis liée avec l’association François Aupetit (AFA), créée en 1982 par la mère d’un enfant décédé à cause de Crohn. La seule reconnue d’utilité publique dans l’Hexagone. Soixante-dix pour cent de son budget est dédié à la recherche, 20 à l’aide aux malades, incluant une aide psychologique indispensable, et dix à son fonctionnement. Le directeur de l’AFA région Centre m’avait accueilli à Orléans le 21 mai, juste avant mon départ. Nous avons collecté plus de 4000 euros jusqu’à présent.

JFB : L’AFA a-t-elle été facilement convaincue par ta démarche ?

J.B. : Je me suis mis plus de pression que nécessaire. J’ai monté un dossier de sponsoring de quinze pages. Je voulais réellement que l’AFA croie en moi. Je voulais montrer à l’association que j’avais un objectif en tête et l’envie de l’atteindre coûte que coûte. Ma présentation téléphonique leur a plu et j’ai eu une réponse positive dans les jours qui ont suivi. L’AFA a mobilisé un employé pour m’assister au niveau de la communication et des relations presse. Ils ont été à mes côtés dès le premier jour.

JFB : Où racontes-tu tes aventures ? Sur un blog, par exemple ?

J.B. : Justement, non. Je n’ai pas ouvert de blog car de moins en moins de gens consultent ce type de plate-forme. Et puis, il faut faire l'effort d’y aller…Cependant, tout le monde a Facebook et reçoit des infos sur son fil chaque jour. Je poste quotidiennement sur la page Projet Crohn afin de décrire les étapes de mon parcours, que ce soit le trajet en lui-même ou les personnes rencontrées au fur et à mesure. Honnêtement, je pensais que 400 personnes me suivraient, tout au plus. Il y en a 1100 aujourd’hui.

JFB : J’ai envie d’aider le projet Crohn. Que dois-je faire ?

J.B. : Il suffit de se rendre sur alvarum.com et de retrouver la page du projet. L’association souhaitant solliciter des fonds doit être identifiée et approuvée avant que le processus ne soit lancé. Les dons s’effectuent par carte bancaire. La personne décidant de donner reçoit dans la foulée un justificatif pour les impôts. Les deux-tiers de la somme transférée, quelle qu’elle soit, en sont déductibles. J’ai choisi d’utiliser ce site car il permet au public de contribuer en toute sécurité selon ses souhaits.

JFB : Côté hébergement, tu arrives à te débrouiller ?

J.B. : Je fais un tiers camping, un tiers chez l’habitant et un tiers dans la nature. J’ai un budget de 15 euros par jour, ce qui n’est pas énorme. En Suisse, j’ai pu m’installer dans la cave de dégustation de vin d’une mamie et manger un petit-déjeuner de roi qu’elle avait préparé avec son gendre. À Bratislava, j’ai fait du couch surfing pendant deux jours chez un homme qui possédait aussi un vignoble. Je lui ai donné un coup de main en collant des étiquettes sur des bouteilles…On parvient toujours à s’en sortir.

JFB : Tu ne t’ennuies pas trop, seule sur la route ?

J.B. : C’est vrai que les relations sociales me manquent. J’entame direct la conversation dès que possible. Au début de mon voyage, j’écoutais des livres audio histoire de passer le temps. J’ai lu le prix Goncourt 2014 (Au revoir, là-haut de Pierre Lemaître) puis je suis passée aux Frères Karamazov de Dostoïevski. Je n’aurais jamais eu la volonté d’ouvrir ce genre de bouquins chez moi. J’ai profité de mon séjour en Autriche pour visiter le camp de concentration de Mauthausen. Devoir de mémoire.

JFB : Existe-t-il un traitement anti-Crohn efficace ?

J.B. : Pas vraiment. La maladie de Crohn est une nécrose du système digestif provoquée par un surdéveloppement des défenses immunitaires. Les médicaments prescrits comme remède à cette détérioration de l’organisme calment les douleurs mais affaiblissent la résistance aux infections. D’où des périodes de fatigue chronique, voire de dénutrition. Il existe également des conséquences sociales. Le Crohn est une affection « honteuse » et ceux qui en souffrent n’osent pas facilement se confier.

JFB : Quel a été ton souvenir le plus marquant ?

J.B. : Fin-mai, j’ai reçu un mail d’un monsieur m’indiquant qu’il allait organiser un tournoi de foot à Saint-Jean de Losne (près de Dijon, ndlr) et qu’il souhaitait organiser une tombola dont les gains seraient reversés à l’AFA. Je n’ai pas hésité une seconde et me suis dépêchée pour arriver à temps. J’ai profité de l’occasion pour sensibiliser les plus jeunes à la maladie de Crohn. L’un des ados participant à la compétition était d’ailleurs concerné. Les autres ont été très réceptifs. Je suis repartie avec 200 euros.

JFB :  Tu es à mi-parcours (entretien réalisé le 3 juillet, ndlr). Pas trop fatiguée ?

J.B. : J’ai un peu mal aux pouces à force de changer les vitesses ! (rires) Mais sinon, je me porte assez bien. Un couple de Hongrois m’a rejoint à Szentendre lors de ma dernière étape entre Esztergom et Budapest. Je suis rentrée dans la ville avec quatre Français croisés sur le chemin et y reste quelques jours. Je compte arriver vers le 13 ou 14 août au delta de la Mer Noire. Je n’ai plus qu’à pédaler !

Joël Le Pavous

Photos : Csilla Katona