Échos de la francophonie: World Press Photo

Échos de la francophonie: World Press Photo

La chronique de Dénes Baracs

Le français, l’espagnol, l’anglais, le chinois... sont de formidables outils de communication, chacune de ces langues étant parlée par des centaines de millions de personnes ou bien plus encore dans le cas des deux dernières. Il existe pourtant une langue encore plus répandue désormais.

Quand le photographe français Pierre Descharges de l’Agence Vu nous a montré la literie des sans abri parisiens en train de sécher sur les Champs Elysées, il nous a fait comprendre cette pauvreté moderne mieux qu’un long discours. Cette image de misérables chiffons, où sont absentes les personnes qui les ont utilisés la veille. Cette photo a obtenu le premier prix, dans la catégorie de la vie quotidienne, du World Press Photo, cette institution artistico-médiatique déjà cinquantenaire qui organise annuellement le concours des photoreporters du monde entier.

Une autre image: le pique-nique d’une famille africaine au bord de la mer au Mozambique, une table sur le sable, boissons, aliments, un père contemplant son enfant en train de jouer avec leur petit chien blanc (un compagnon de luxe dans ce pays pauvre): le bien-être naissant. World Press Photo a décerné un 2e prix à cette photo d’un autre auteur français, Joan Bardeletti. En effet, cette scène résume un phénomène important, la montée d’une nouvelle classe moyenne, en particulier dans les pays émergents.

Si les Français ont eu un rôle capital dans l’invention de cette langue photographique qui est devenue internationale, je dois aussi admettre que non seulement leurs compères américains, italiens, ou anglais la maîtrisent avec brio mais elle est désormais à la portée de tous. Développée par les grands maîtres, parmi lesquels on trouve aussi de nombreux Hongrois, qui ont pu exercer leur vocation en France, comme André Kertész ou Robert Capa, ce journalisme des images est devenu universel.

Désormais des inconnus peuvent saisir des moments et ainsi défier même les professionnels les plus aguerris. C’est le cas de cette image montrant le visage ensanglantée d’une jeune fille qui, terrassée par une balle des forces de répression, gît sans vie dans la rue d’une ville iranienne. Un instantané isolé d’une vidéo réalisée avec un téléphone portable, en juin 2009, par un participant anonyme de la manifestation de protestation contre la falsification supposée de l’élection présidentielle du pays. La vidéo fût téléchargée sur le site YouTube, des millions de personnes l’ont vue dans le monde entier. Elle a exercé un effet particulier sur les médias et, comme le jury l’a souligné, elle a conféré une dimension nouvelle au reportage de presse et à la photographie elle-même.

Les 167 photos “finalistes” sélectionnées parmi les 101.960 œuvres envoyées par 5.847 photoreporters de 128 pays nous ont attristés, choqués, parfois amusés et surtout, elles nous ont contraint à méditer sur la condition humaine.

Et si la simplicité et la proximité mortelle de cette vidéo nous blesse, l’éloquente originalité de la photo sélectionnée par le jury en tant que meilleur reportage professionnel de l’année 2009 nous sert de leçon pour sa force de communication mais aussi en tant que photographie. C’est la même révolte des femmes iraniennes. Le jeune photographe italien Pietro Masturzo fut brièvement arrêté sous le prétexte qu’il ne disposait que d’un visa touristique. Il ne pouvait donc risquer de faire de nouvelles prises de vue dans la rue au cours des manifestations qui se succédaient. C’est alors qu’il a découvert une autre forme prise par la protestation, qu’il a immortalisé à la tombée de la nuit: des silhouettes de femmes qui hurlent leur colère depuis le toit d’un immeuble – l’effet esthétique me rappela le peintre surréaliste belge René Magritte, le message politique me sembla encore plus clair que celui des photos crues des rues en flammes.

Hélas, le sang coule à flots sur les images de l’exposition, et en passant, il nous en dit beaucoup sur le courage de ces reporters de guerre. L’implacable terreur du pouvoir nu nous atteint directement en regardant ces putschistes de Guinée Bissau qui posent devant la caméra, sur-armés, après avoir assassiné le président du pays (d’ailleurs probablement leur complice dans la contrebande des drogues). La guerre de Gaza nous secoue, la nudité sans poésie de la prostitution nous attriste, et les rangs raréfiés des manchots qui disparaissent lentement ou bien la laideur des oranges contaminées en Chine par la pollution nous transmettent une angoisse floue pour la nature menacée.

Heureusement, cette langue des images nous évoque aussi les grands moments de la solidarité, du sport, de l’art, de la science, de la politique (comme la prestation de sermon de Barack Obama), ou les petites joies du quotidien, les couleurs multiples de la vie. Pourtant ce n’est pas la faute de l’image, mais celle de la réalité de ce monde, si nous sommes submergés par les photos qui nous révèlent les drames et les lacunes de notre existence. Pour les éviter, pour les guérir, le premier pas c’est de les regarder en face. Aucune autre langue ne peut les présenter plus efficacement. 

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