Échos de la francophonie: Tunisie

Échos de la francophonie: Tunisie

La chronique de Dénes Baracs

 

Voilà un pays francophone dont le nom est devenu une référence universelle. Maintenant, quand on dit Tunisie, on pense à ces images floues de la foule en révolte, ces vidéos réalisées par les téléphones portables des participants et transmises sur internet, puis reprises par les chaînes de télévision du monde entier.

 

Une référence, comme la Hongrie de 1956 qui, par son soulèvement populaire contre les forces de l’empire soviétique de jadis, a marqué l’histoire. Des séquences de film pâles en noir et blanc, des jeunes dans les rues avec des fusils, la démolition de la statue de Staline, la foule bravant les chars, mais aussi des cadavres et des édifices carbonisés, le deuil, la tristesse. Une révolution qui ne devait aboutir que 33 ans plus tard, mais qui restera pour toujours gravée dans notre mémoire collective.

Actuellement, nous sommes les témoins de cette explosion révolutionnaire en Tunisie, ce pays apparemment si tranquille - un paradis touristique pour beaucoup. Je me rappelle d’un coucher de soleil à Douz dans le Sahara, notre caravane de dromadaires près du château qui m’évoque un film fantastique – justement, parce que La Guerre des Étoiles fût tournée là, dans le désert de sable. Et je me souviens de cette conversation que j’ai eue avec le jeune homme qui a guidé mon chameau (loué pour une excursion), et qui m’a parlé– en français mais aussi en italien! - de sa vie et de ses ambitions. Electricien de formation, il n’a pas trouvé de travail à l’issue de ses études et a choisi d’exploiter les dromadaires de son père – et de se préparer aux concours dont les héros sont ces curieux animaux du désert.

Je ne peux pas savoir s’il a participé aux événements qui ont conduit à la chute de Ben Ali, le président corrompu, et de son clan mais rétrospectivement, je comprends mieux certains signes précurseurs. D’une part,la contradiction entre un système éducatif ambitieux mais qui, finalement, ne pouvait pas assurer de travail aux jeunes. Dans ce pays francophone et même polyglotte, la révolte fût déclenchée par le suicide d’un vendeur de fruits… diplômé, mais chômeur. Et aussi, cette omniprésence de l’image du président, affiché dans toutes les localités sur l’avenue principale ou place Bourguiba (Bourguiba, le chef d’état précédent, fût écarté par Ben Ali en personne dans le cadre d’une prise du pouvoir „médicale”, pour „cause de sénilité”). Ou encore, l’interdiction de photographier les bâtiments publics, les stations de police et le palais de Ben Ali à Carthage. On nous a dit que c’était une mesure contre le terrorisme, islamiste et autre (d’ailleurs vraiment menaçant dans cette partie du monde, ici aussi...). Et c’est bien-entre autres- au nom de cette lutte contre le terrorisme que la France et d’autres grandes puissances démocratiques ont affiché une grande tolérance - maintenant abondamment critiquée - envers le système Ben Ali.

Nous savons maintenant que le mécanisme apparemment parfait du tourisme de masse alimentait aussi la corruption, l’avidité du pouvoir. Il fallait donc se protéger contre la grogne invisible et inaudible - mais répandue - des jeunes et des pauvres qui n’ont vu aucun avenir devant eux dans leur si beau pays.

Pour le chroniqueur que je suis, l’aspect médiatique de la chute brutale de ce système de clans est particulièrement significatif. Ben Ali pouvait museler une presse traditionnelle docile, et il a longtemps isolé son pays de ces critiques (islamistes et autres) qui s’exprimaient sur les ondes de la télévision Al-Jazira, dont le bureau de Tunis fût fermé depuis des années. Mais il ne pouvait rien contre les nouveaux médias, contre Facebook, Twitter, YouTube et consorts, contre le pouvoir informatique du web. Al-Jazira et Al-Arabiya, ces télévisions satellitaires ont repris les images répandues sur Facebook et les autres nouveaux médias, en contournant les autorités de Tunis. La première révolution web? Certainement pas. Ce sont les masses populaires qui ont chassé, au prix de leurs sacrifices, le clan Ben Ali, mais cela aurait peut-être été impossible sans ce nouvel espace médiatique tunisien et arabe.

Comme nous le savons, le soulèvement hongrois a semé les germes des changements ultérieurs dans tout le bloc soviétique – en quelques décennies. Cette fois, les problèmes qui ont engendré la colère sont bien différents, et les circonstances (techniques et sociales) ont changé, elles aussi. Quelques jours ont suffi pour que les démonstrations se propagent à beaucoup d’autres pays - voisins et lointains – en proie aux mêmes inquiétudes pour le futur et où les populations sont motivées par le même amour de la liberté que les Tunisiens.

Ce qui ne veut pas dire que la voie vers l’avenir joyeux soit déjà largement ouverte et que le piège islamiste soit dorénavant exclu – dans ce but, il faudrait installer de véritables démocraties. Même en Tunisie, si le chapitre Ben Ali est déjà clos, le suivant est encore en sursis, le mouvement de masse continue à exiger un changement plus radical. Au moment où j’écris ces lignes, les protestations de masse s’amplifient encore dans plusieurs pays - tout comme les interventions policières.

Maintenant, nous suivons l’histoire en direct et les reportages ne nous parviennent plus en noir et blanc comme en 1956. Les taches de sang sur le pavé sont bien rouges.

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