Échos de la francophonie: En chantant Lady Gaga

Échos de la francophonie: En chantant Lady Gaga

Les chroniques de Dénes Baracs

251.287 documents secrets! Le futur, comme on dit, a commencé. Mata Hari, si elle ressuscitait, mourrait de nouveau – cette fois d’envie.

Grâce a Wikileaks, nous savons maintenant que selon les diplomates américains postés à Paris, Nicolas Sarkozy est le président français le plus pro-américain ou bien que Mme Clinton a demandé de ses diplomates de recueillir des informations spécifiques sur les personnalités hongroises. Mais on a "exfiltré" des secrets beaucoup plus dangereux aussi, de l’Iran à Afghanistan. Wikileaks nous réserve encore des surprises.

Comment en est-on arrivé là? En chantant.

Bradley Manning, ce simple soldat de 23 ans des services de renseignement de l’armée américaine en Irak, a eu accès – grâce à son travail d’analyste – à deux réseaux sécurisés sur une base militaire. Et il était horrifié par le contenu des documents secrets qu’il pouvait lire. Il a pris connaissance de "choses incroyables", il a vu "des arrangements politiques" qui selon lui étaient "quasiment criminels" et décida donc de s'emparer de ces documents pour les rendre publics.

C’est un crime, mais techniquement, c’est un jeu d’enfant. Il arrive à son lieu de travail, une salle informatique, avec un CD musical à la main, puis il efface la musique et crée un dossier compressé pour y transmettre les documents secrets du réseau informatique. Selon la lettre qu’il a écrit à un ami supposé (qui le dénonça ultérieurement), il écoute Lady Gaga et chantonne sur la musique, tout en exfiltrant la plus grande fuite de l’histoire des États-Unis.

À la fin de cette session musicale, il obtint pas moins d’un quart de million de dépêches diplomatiques, plus ou moins secrètes, envoyées par les ambassades américaines disséminées à travers le monde. Des rapports destiné au State Department – le ministère des affaires étrangères américain – et inversement, des instructions et demandes envoyées de Washington aux diplomates sur place.

Et si on obtient de tels documents en Irak, on les envoie simplement sur un serveur en Australie, créé par un hacker habile et déterminé. Julian Assange, lui, il est un guerrier de la transparence absolue. Cet anarchiste moderne mène une croisade contre les secrets d’État, il les exfiltre – en anglais: leaks. Son site, Wikileaks, devient l’encyclopédie des documents secrets rendus publiques à l’insu de toutes les autorités. Et depuis trois ans il publie tous ces documents plus ou moins confidentiels, par centaines de milliers. Ceux exfiltrés par Bradley Manning – arrêté depuis par les autorités américaines, mais pas encore jugé – constituent son dernier coup, le plus retentissant.

Tous les gouvernements du monde, de Washington à Londres et à Paris, ont exprimé leur désapprobation, ont tenté par tous les moyens de faire taire Julian Assange, en vain. Ils ont exercé des pressions sur les entreprises Amazon, OVH etc. pour qu’elles cessent d'héberger les fichiers Wikileaks, sur les établissements financiers comme Visa, Mastercard, Paypal, etc. pour couper les sources d’argent à l’organisation fondé par Assange, sur les autorités nationales pour qu’ils mettent derrière les verrous le postier de leurs secrets volés, devenu l’ennemi publique No 1 – en vain. L’arrestation finalement intervenue à Londres, sur la base de la dénonciation de deux suédoises qui l’accusent de viol, me rappelle celle d’Al Capone, le fameux gangster américain, qui fût envoyé en prison parce qu’il n'avait pas payer ses impôts au fisc américain (selon Assange, qui ne nie pas qu’il a bien eu des rapports avec ses accusatrices, les femmes étaient consentantes…)

Mais il était impossible de stopper la machine: quand un serveur hébergeant les infos de Wikileaks était fermé aux États-Unis ou en France, dix autres accueillaient, dans un autre pays, la réplique exacte du site. Et encore: quand Paypal et d'autres établissements financiers ont interrompu le flot d’argent censé à aider Wikileaks, ils sont devenus les victimes d’attaques informatiques du groupe Anonymous qui dit vouloir venger l’arrestation de Julian Assange. "Le cyber-empire" contre attaque, l’armée des hackers – quelques centaines d’informaticiens "sauvages" – venge l’arrestation de leur idole. Et que dire de la rumeur sur "l’assurance vie" d’Assange, ce prétendu fichier de 1,4 gigabytes, dont il existerait 100.000 copies dans le réseau mondial, et qui pourraient tous révéler leur contenu d’un simple tour de clé de cryptage au cas ou il arriverait quelque chose au fondateur du Wikileaks? Est-ce encore la réalité, ou déjà la science-fiction?

D’ailleurs, démasquer les abus et les machinations abjectes, les complots et mensonges, bravo, c’est bien, mais comme dans une famille, on ne peut pas dire tout à tout le monde, surtout pas après les attentats de 11 Septembre. Un monde sans secrets? Un idéal apparemment noble, mais de toute évidence il serait encore plus dangereux.

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