Échos de la francophonie

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Les chroniques de Dénes Baracs

C’était il y a quelques jours, au Palais des Arts de Budapest, au Müpa. J’ai écouté le fameux air du président américain dans l’opéra du compositeur américain John Adams: Nixon en Chine, présenté au fameux Metropolitan Opera de New York. La scène était transmise en haute définition et en direct à Budapest (et dans quelques milliers d’autres salles partout sur le Globe), et elle réveilla mes propres souvenirs de cette visite historique, vécue, alors, sur place, à Pékin.

 

C’était un collègue français, le correspondant de l’AFP, qui m’informa de l’incroyable nouvelle. Il était en train de regarder les dépêches de la très officielle Chine Nouvelle – Hsinhua - quand l’annonce tomba. En ce mois de juillet de 1971, la petite colonie des étrangers de Pékin a suivi vivement les aléas du voyage mystérieux de Henry Kissinger. Le conseiller pour la sécurité nationale du président américain, en visite au Pakistan voisin, s’était déplacé pour un séjour de repos dans un lieu touristique proche de la frontière chinoise. Et là, selon un communiqué officiel, il a eu des problèmes de digestion. Puis plus rien, ni son, ni image. Une maladie diplomatique, peut-être – mais dans quel but ?

Jean Leclerc de Sablon apparût soudainement dans la cour de l’immeuble où nous étions voisins. Il semblait affolé et me lança: „Kissinger était en fait ici, à Pékin, en mission secrète, Mao l’a reçu et a invité Nixon à visiter la Chine. Je ne plaisante pas, va voir la Chine Nouvelle!” Cet épisode a quelque peu changé mon parcours journalistique. Ma mission de correspondant à Pékin touchait à sa fin après deux ans, mais sa durée fût immédiatement prolongée pour encore deux années. En effet, par cette annonce, l’importance médiatico-politique de la capitale chinoise s’est brusquement trouvée décuplée. C’est ainsi que je restais là pour la visite du président américain.

Cette visite semblait tout à fait improbable, impensable en son temps. La Chine était une terre plus inconnue pour les Américains que la Lune sur laquelle ils avaient déjà envoyé leur astronaute, tandis qu’avec le pays le plus peuplé du monde, ils n’avaient jusqu’alors aucun lien diplomatique. La guerre du Vietnam faisait encore rage, la Chine appuyait le Nord, les Américains envoyèrent leurs troupes et bombardiers pour soutenir le Sud. Politiquement, il aurait été beaucoup plus vraisemblable qu’un politicien Français fasse le premier grand coup à Pékin. Paris fût en effet une des premières capitales occidentales à renouer ses liens avec Pékin après la prise du pouvoir de Mao, et elle avait retiré depuis longtemps ses soldats d’Indochine. De Gaulle avait déjà quitté le pouvoir mais ses proches étaient en train de préparer sa visite symbolique en Chine – hélas, il est mort en 1970 sans avoir pu réaliser ce rêve.

Et nous voilà sur le petit aéroport de Pékin en 1972, en train de regarder l’avion immense d’où surgit le couple présidentiel américain. Au Müpa, je pouvais assister pour la seconde fois à la poignée de main entre Nixon et Chou Enlai, le premier ministre chinois – parce que ces personnalités furent entre-temps transformées en héros d’opéra par John Adams et par la librettiste Alice Goodman, une vrai poétesse, ou encore par Peter Sellars, ce metteur en scène génial. Les décors ont reconstitué avec minutie les circonstances originales, y compris les vêtements puritains des hôtes chinois. J’ai cru revoir aussi les gestes des participants, ces politiciens figés dans un moment de l’histoire – comme s’ils avaient été directement extraits des films documentaires de l’époque.

C’était le tour de Nixon – du ténor James Maddalena - de réciter les fameux vers de Goodman: News! News! Nouvelles! Nouvelles! Un air qui résume notre monde médiatisé, globalisé. Et il continua à chanter: „La nouvelle a une qualité mystérieuse. Quand j’ai serré la main de Chou ici à Pékin, le monde entier nous a regardé. Et quoique nous avons parlé tranquillement, les yeux et les oreilles de l’histoire (les médias, donc, me disais-je au Müpa) ont enregistré chacun de nos mots et de nos gestes. Nous étions en train de faire l’histoire - making history.”

Au Palais des Arts, j’ai ainsi pu revivre les grands moments de Pékin. Il y a 38 ans, je les ai vécus comme correspondant sur place et donc comme participant aux événements. Et cette fois, avec la nouvelle technologie digitale, en spectateur. Et je devais constater que la technologie s’est beaucoup développée depuis l’arrivée de Nixon à Pékin – et le monde aussi.

D’ailleurs, Peter Sellars n’a pas caché sa satisfaction que le Met ait présenté le Nixon en Chine exactement dans les jours de cette autre transmission globale qui eut pour scène la place Tahrir du Caire. L’histoire ne s’arrête pas, l’émission globale continue. Et de temps en temps, se transforme en opéra.

 

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