Du cas Matteotti à l’école doctorale
Rencontre avec l’historienne Mária Ormos
L’académicienne Mária Ormos vient de publier un livre sur l’Europe centrale, avec l’ensemble des étudiants de l’école doctorale qu’elle dirige à l’Université de Pécs. Durant ses recherches elle a eu recours aux prestigieux documents des Archives Diplomatiques du Quai d’Orsay et du Service historique de l’armée de Terre. Francophile et francophone, si ses nombreux ouvrages témoignent d’une grande érudition, cette ancienne présidente d’université a aussi son mot à dire dans les grands débats autour de l’Université .
Rien de son éducation familiale ni de son parcours universitaire ne la destinait à devenir une représentante éminente de la Commission mixte franco-hongroise des historiens. Pourtant, c’est âgée d’une douzaine d’années à peine qu’elle a lu les chefs-d’oeuvre de la littérature française traduits en hongrois. Mais elle a d’abord appris d’autres langues : l’anglais, l’allemand, le russe, l’italien, le latin… bref, tout sauf le français. C’est sur les instances de György Ránki, son directeur à l’Institut d’Histoire de l’Académie hongroise des Sciences, qu’elle s’est finalement résolue à apprendre le français auprès d’Yvonne, pianiste suisse et veuve du célèbre musicien Aladár Rácz . Elle a ensuite suivi les cours de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à la Sorbonne durant trois mois. Et avec ses moyens mo-destes elle a tout fait pour mener à bien l’apprentissage de cette langue. Et de lectures en séances de cinéma, elle a réussi son pari.
Si ses premiers travaux sont consacrés à l’Histoire de France jusqu’au Traité de Trianon, elle est également l’auteur d’un ouvrage de vulgarisation, en format de poche, sur le tristement célèbre attentat de Marseille de 1934. Ce livre nous conduit sur les traces des auteurs de l’attentat contre le roi de Yougoslavie, Alexandre 1er Kara-georgévitch, assassiné sur la Canne-bière alors qu’il défilait en compagnie de Louis Berthou, alors mi-nistre des affaires étrangères en France, également assassiné au même moment. C’est ainsi toute la vie diplomatique européenne qui se dessine à travers cet ouvrage. Elle publie également, en format de poche, un autre livre sur Matteotti, enlevé en pleine rue en 1924, en Italie, puis assassiné pour avoir osé dénoncer les méthodes totalitaires du gouvernement de Mussolini.
Mária Ormos a en effet pris conscience que l’étude des systèmes totalitaires était un passage obligé pour mieux cerner l’histoire du 20ème siècle. C’est ainsi qu’elle a commencé par l’Italie de Benito Mussolini, pour définir une dictature où les spécificités nationales et la figure du dictateur étaient les moins «dures». C’est plus tard qu’elle a entamé ses recherches sur l’Allemagne hitlérienne. A l’époque, pas question d’aborder le personnage de Staline, que, plus tard, elle a laissé étudier à ceux qui avaient accès plus facilement aux archives, à Moscou et ailleurs.
Elle se rappelle en outre l’époque durant laquelle elle commença à chercher des documents inédits sur le Traité de Trianon – sujet alors qualifié de suicidaire. Pendant longtemps, au sein de l’Académie de Budapest, l’on a jugé que le débat ne pouvait être public et que de toute manière l’on ne pourrait publier cet ouvrage qu’en anglais (finalement le livre a vu le jour dans une édition hongroise). C’est en somme l’histoire d’une époque révolue, durant laquelle il fallait tenter l’impossible avec une bonne dose d’esprit d’aventure. La question qui revenait toujours : jusqu’où peut-on aller dans cette dictature hongroise aux gants de velours ?
Longtemps, elle a évité les sujets tirés exclusivement de l’Histoire de la Hongrie. Mais, en 2000 par exemple, elle a publié un livre traitant des années de l’entre-deux-guerres en Hongrie, à travers le destin d’un responsable des médias. Elle émet par ailleurs plusieurs critiques sur la situation actuelle où les faits historiques sont trop souvent mis au service de différents courants politiques – eux-mêmes dirigés par des dilettantes, ajoute-t-elle. L’autre danger : les problèmes de l’Université et de l’Education nationale. Comment relever le défi qui consiste à obtenir des diplômés de qualité, destinés à un niveau supérieur, et ce, selon les besoins de la société européenne actuelle ?
Si Mária Ormos est une intellectuelle engagée et une femme épanouie, elle n’a pas envie de se plaindre de sa condition de femme – cela ne serait pas juste ! – dit-elle et termine gentiment notre conversation pour retourner à la cuisine, surveiller la cuisson du repas du dimanche prévu pour ses petits enfants.
Éva Vámos