Divorce à l’européenne
Les illusions perdues de l’Europe de l’Est
Depuis leur adhésion à l’Union européenne, les pays de l’Europe centrale ont vu leur croissance s’accélérer, attirant toujours plus d’investisseurs occidentaux. La crise économique actuelle a pourtant mis en avant leurs faiblesses et les inconvénients des mo-dèles économiques trop dépendants des pays occidentaux.
Plusieurs études ont vu le jour ces dernières semaines sur la situation alarmante de la région. La Banque mondiale a revu à la baisse ses prévisions de croissance et l’agence de notation financière Moody’s a prévenu les pays occidentaux que les pertes de leurs banques présentes dans la région de l’Est de l’Europe pourront se répercuter sur les maisons mères occidentales. De quoi nourrir de nouvelles craintes.
Pour pouvoir comprendre pourquoi les pays d’Europe centrale et orientale sont si exposés à cette crise, il faut remonter au changement de régime, qui ne s’est pas déroulé de la même façon dans tous les pays, et qui explique certaines spécificités régionales. Tout d’abord, pour combler le vide économique que la disparition des marchés soviétiques a créé dans la région, ces pays se sont tournés vers les investisseurs occidentaux, qui ont réalisé des investissements si importants que l’industrie locale n’a pu les concurrencer. Or, aujourd’hui, quand ces entreprises multinationales, confrontées à des difficultés financières, ont commencé à se retirer, le chômage a augmenté de façon considérable dans la région, et, du fait de la faiblesse des industries nationales, les gouvernements disposent de peu de moyens pour lutter contre cette tendance. De plus, le Produit Intérieur Brut (PIB) de ces pays est à ce point dépendant des marchés occidentaux que la baisse des importations de leur part prive ces économies d’importants revenus. Troisième point commun, qui est également le plus souvent cité aujourd’hui: l’endettement de ces États en devises étrangères (euro ou franc suisse). L’incertitude qui règne depuis près d’un an sur les marchés financiers met les gouvernements dans une situation difficile: en effet, pour renouveler les crédits finançant leurs déficits publics, ils sont contraints de payer des taux très élevés. A cela s’ajoute le fait que dans certains pays, et avant tout en Hongrie, la population a également accumulé des dettes très importantes en devises étrangères. Ce n’est donc probablement pas un hasard que la crise mondiale ait fait son entrée en scène dans la région par la spéculation contre le forint en octobre dernier.
La Hongrie était de loin le pays le plus endetté, et quand les investisseurs ont commencé à se détourner des obligations risquées, la vente des bons du Trésor hongrois semblait une réaction raisonnable. Ainsi, le gouvernement hongrois a-t-il été le premier à devoir demander l’aide de l’Union européenne et du Fonds Monétaire International (FMI) pour assurer sa liquidité. Si cette dernière s’est vite rétablie grâce à la possibilité de retirer des crédits d’un montant total de 20 milliard d’euros, six mois plus tard, on constate que la confiance des investisseurs n’est toujours pas de retour dans la région. Outre la Hongrie, l’Ukraine, la Serbie et la Lettonie ont également accédé aux crédits du FMI et des dirigeants roumains ont fait savoir que leurs pays n’en écartaient pas l’éventualité.
Selon les dernières prévisions, on peut distinguer trois groupes de pays dans la région. Au premier appartiennent ceux qui, malgré la crise économique, continueront à afficher une croissance positive. En tête, la Slovaquie (+2% selon la Banque mondiale) qui, depuis son adhésion à la zone euro en janvier dernier, bénéficie d’une grande crédibilité aux yeux des investisseurs. La Pologne, la République tchèque, la Bulgarie et la Roumanie figurent également dans ce groupe. Il faut souligner la situation relativement stable de la République tchèque: l’État et la population s’étant beaucoup moins endettés qu’ailleurs dans la région, leur situation est bien moins risquée aujourd’hui. Dans le deuxième groupe, on trouve les pays qui vont connaître une récession, mais modérée (une décroissance d’environ 3%). Parmi eux, la Hongrie, dont la vulnérabilité s’est manifestée à plusieurs reprises ces derniers mois. Enfin, les prévisions les plus pessimistes s’appliquent aux pays baltes (Estonie, Lituanie, Lettonie), membres du troisième groupe. Ils avaient connu une croissance très dynamique après leur adhésion à l’Union européenne. Cependant, ce développement ayant été alimenté par les crédits en devises étrangères, et basé en grande partie sur les secteurs de l’immobilier et des services, l’effondrement de ces derniers a freiné leur économie de façon brutale. La Banque mondiale estime que leur PIB pourra reculer de 5 à 7% en 2009, alors que ces dernières années leur croissance était supérieure à 10%. En Lettonie, le mécontentement des habitants résultant de la situation très difficile du pays ne s’est d’ailleurs pas limité à la vie économique. Après de violentes émeutes au mois de janvier, le premier ministre, Ivars Godmanis, a vu sa cote de popularité s’effondrer et a par conséquent présenté sa démission il y a quelques semaines. Dans les autres pays de la région, la vie politique devient également de plus en plus affectée par le découragement des habitants, ce qui se manifeste à la fois par le renforcement des idées nationalistes et par la culpabilisation des gouvernements, considérés comme incompétents face aux problèmes actuels.
Anna Bajusz