« Diversité Richesse Fragilité » : l’étonnant panorama urbain centre-européen
Budapest, Belgrade, Bratislava, Prague, Vienne. Ces cinq capitales centre-européennes ne partagent qu’une proximité géographique tant leurs stratégies de développement sont différentes. Mais en commun, toutes participent à un patrimoine architectural et urbanistique d’exception.
Pour qui s’est promené dans les espaces centraux de l’Europe, il n’est aucun doute que le premier mot qui frappe en passant d’une capitale à l’autre est l’extraordinaire diversité urbanistique qui envoûte l’œil et charme l’esprit. Du quartier du château à Prague au Városliget budapestois, du parc belgradois de Kalemegdan au Stare Mesto de Bratislava en passant par l’Heldenplatz viennoise, résolument, le second mot qui frappe est richesse. Mais face à la reconfiguration de l’aire centre-européenne à l’ère postsocialiste, il est également notable que la gestion médiocre du patrimoine des années rouges comme l’inflation immobilière récente mettent en péril cette diversité et cette richesse. La fragilité s’impose donc comme troisième qualificatif.
Belgrade
Un héritage riche et varié
La continuité historique des patrimoines architecturaux est relativement marquante, mise en perspective avec un Londres victorien ou un Paris haussmannien. Ceux-ci s’échelonnent en effet du Moyen-Âge pour le quartier juif pragois, autour de la synagogue ou pour le ‘Hrad’ - château - de Bratislava, à des constructions très récentes comme le Mûvészetek Palotája de Budapest. Tous les styles architecturaux trouvent ainsi illustration dans la région : roman, gothique, Renaissance, baroque, rococo, classique, néoclassique, Art nouveau, Bauhaus, New-Bauhaus, Art déco, socialiste, moderne, post-moderne.
Si le promeneur comme l’initié ont certainement des goûts prononcés pour certains de ces mouvements plus que pour d’autres, il est bien entendu que l’Europe centrale abrite donc un fantastique patchwork de l’architecture européenne. Or l’architecture n’est pas le seul élément dont l’intérêt mérite l’attention : l’urbanisme est également riche, et également varié. Les systèmes de transport par exemple, tels que le funiculaire (Prague, Budapest), le tramway (Vienne, Bratislava, Prague, Belgrade, Budapest) ou encore le petit métro de Budapest, marient quotidiennement déplacements métropolitains et un art de vivre certain.
La comparaison des structures de ville est également… édifiante. Il est étonnant de s’apercevoir que Prague, Bratislava et Budapest partagent une structure générale comparable : un cours d’eau - la Vltava pour Prague et le Danube pour les deux autres - fait un coude, le château est situé sur le côté extérieur de ce coude sur une colline et un quartier populaire est sur l’autre rive, plane. Mais passée cette étrange comparaison, l’urbanisme est notoirement différent. Comment comparer l’étendue viennoise, avec un centre historique compact et un quartier international, à Budapest, plus diluée et divisée en quartiers hétéroclites ? Comment faire l’analogie entre le centre pragois en pleine explosion touristique après des rénovations très performantes et la débrouille et le fourmillement belgradois ? Dans le domaine de l’urbanisme également, les différences sont propres à valoriser.
Bratislava
Une valorisation à étendre, des choix difficiles
Il est certain que le patrimoine architectural, comme les particularités urbanistiques, invitent d’un côté à une politique de conservation aussi importante que possible - et d’autant plus dans cette période de refondation urbaine -, et de l’autre, une politique d’aménagement du territoire et de la ville qui mettent en adéquation les besoins et les moyens, les particularités historiques et les nouvelles évolutions de la cité.
Bien sûr, ces différentes villes ne sont pas égales en terme de capacité budgétaire. La plus riche étant certainement Vienne, dont l’économie locale tant que le pouvoir d’achat soutenu par l’euro permettent très certainement d’entretenir une propreté impeccable, des espaces verts aérés, de pratiquer des réfections régulières, le soutien à un réseau de transport large, complet, rapide et agréable (métro, trams, bus).
A l’inverse, Belgrade ne peut malheureusement pas s’autoriser à investir dans un réseau de transport moins polluant, dans la refonte des voies de communication ou dans la réfection de bâtiments (seuls la basilique Saint Sava, d’un blanc immaculé, les lieux de culte en général et quelques bâtiments officiels sont physiquement en parfait état). En s’enfonçant dans les petites rues, on s’aperçoit vite que la chaussée laisse à désirer et que la rénovation de maisons se fait avec les moyens du bord, alors que le réseau d’électricité est en piteux état.
Prague
De son côté, Prague a concentré ses efforts sur son centre historique qui est tout à l’honneur du pays. Mais en sortant de ce centre d’une exceptionnelle qualité architecturale, on rencontre des faubourgs relativement délabrés. Budapest en est quant à elle à l’heure des choix budgétaires, et l’accent a été mis sur les transports (remplacement des trams de la moyenne ceinture, entretien des voies de la petite ceinture, remplacement du parc d’autobus, et bien sûr creusement de la quatrième ligne de métro). Les efforts sont très certainement conséquents car la réfection de nombreux bâtiments prestigieux ennoblit la ville et la réhabilitation de quartiers (quartier juif/Király utca/ Nagymezô utca) permet d’augmenter considérablement à la fois la qualité de vie et la valeur locative, et donc les revenus communaux. Pourtant, la pratique de l’économie grise comme le manque d’investissements dans d’autres zones que centrales laissent les anciens quartiers socialistes peu à même d’évoluer en d’attirantes zones urbaines nouvelles. Enfin, Bratislava souffre quant à elle d’un manque important d’investissements conséquents. Si le «centre du centre» a subi des rénovations à l’image du patrimoine pragois, des bâtiments dont l’intérêt historique semble certain semblent attendre indéfiniment leur réfection. Quant aux transports, ils s’assimilent à ceux de Belgrade, avec un parc vieillissant. Enfin, le quartier Dvory, comme ceux de Novi Beograd ou des quartiers populaires de Budapest mériteraient que l’on se pose la question de ce qu’il faut faire des quartiers socialistes.
Vienne
Si les politiques urbaines sont différentes et que les décideurs locaux mettent l’accent les uns sur les transports, les autres sur le patrimoine, et ceux qui ne peuvent que cela sur l’entretien, il n’en résulte pas moins des directions stratégiques différentes pour ces villes dont l’intérêt architectural et urbanistique est, répétons-le, exceptionnel. La chose est d’importance car c’est aujourd’hui que se construisent les identités esthétiques de demain, et, par là même, l’attractivité de pôles dont la position centrale sur le continent autant que la proximité appellent à un développement potentiellement exponentiel.
Péter Kovács