Délivrez-moi

Délivrez-moi

Cinéma

Le JFB a rencontré le réalisateur québécois Denis Chouinard à l'occasion de la présentation de son film Délivrez-moi (2006), projeté dans le cadre de la nuit du cinéma lors de la Fête de la Francophonie

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JFB: Pouvez- vous nous dire quelques mots sur vous ?

Denis Chouinard: Je suis né en 1964 à Montréal. J’ai grandi et vécu en banlieue. Je viens d’un milieu, d’une famille où la culture n’était pas vraiment importante. Vers 17 ans j’ai découvert la culture et j’ai fait une sorte de rattrapage: j’ai vu beaucoup de films, lu beaucoup de livres.

JFB: Pourquoi vous êtes- vous plus particulièrement intéressé au cinéma?

D.C.: J’ai décidé de m’intéresser au cinéma car je trouvais que c’était la forme artistique la plus totale et celle qui pénétrait le plus profondément l’esprit, l’imaginaire des gens. Quand on se plie au rituel du cinéma en salle on vit une expérience totale qui touche un peu tous les sens. Dans les années 80 j’ai découvert le cinéma hongrois, tchécoslovaque, d’Europe centrale. J’ai été fortement marqué par ce cinéma-là et j’ai même fait une chose folle pour l’époque : j’ai pris un billet pour Amsterdam et de là je suis descendu jusqu’à Prague en stop. C’était en pleine époque communiste, ma mère me disait qu’elle allait prier pour moi. Parce que c’était comme aller dans l’Empire du Mal…Je suis venu me frotter à la réalité d’ici.

JFB: Comment êtes- vous devenu réalisateur?

D.C.: Après mes études universitaires j’ai fait beaucoup de petits métiers reliés au monde du cinéma : sur des plateaux de tournage américains à Montréal où on recréait justement Prague, Paris…J’ai fait un peu de régie de plateau, de régie de location…Quand j’avais assez cachetonné sur ces productions, je faisais des courts-métrages, qu’on tournait entre copains. A l’époque la vidéo légère n’existait pas alors c’était beaucoup plus long avant d’arriver à trouver les sous…J’ai quand même réussi à en tourner une dizaine qui ont gagné quelques prix. Cela m’a permis de pouvoir me lancer dans un premier long-métrage avec un copain suisse, un film qui s’appelle Clandestins qui a été en compétition à Locarno, et qui a gagné le prix du film francophone au festival de Namur en Belgique. Après cela j’ai été reconnu comme cinéaste et c’est devenu plus facile de trouver des financements pour mes projets suivants.

JFB: Comment est née l’idée de Délivrez-moi ?

D.C.: Ce troisième long-métrage est très différent des deux autres, qui traitaient directement d’immigration, cette thématique nous étant très chère puisque le Québec et le Canada sont des pays d’immigration.

Avec Délivrez-moi, je voulais raconter une histoire d’immigration, mais cette fois-ci «de l’intérieur». Or cette idée de quelqu’un qui partirait de la rase campagne pour venir s’installer en ville, c’est un peu convenu, déjà vu, surtout dans le cinéma américain : on pense à Midnight cowboy etc. Donc pensant à ce thème, j’ai commencé à lire des magazines, des essais, enfin à aller tous azimuts…Je suis tombé sur un article sur les femmes en prison. C’était l’époque où il y avait eu une femme, d’origine tchèque d’ailleurs, Karla Homolka, qui s’étant mariée avec un canadien, kidnappait avec lui des jeunes filles à Toronto. Ils les violaient et leur faisaient subir des sévices avant de les tuer. Cette femme-là a été condamnée à dix ou douze ans de prison. Elle a purgé sa peine et ensuite est sortie. Elle était poursuivie partout par les caméras et c’était impossible pour elle d’avoir une vie normale. C’est vrai que c’était très grave mais je me suis intéressé aux motivations de ces femmes qui participent à des crimes violents. Je me suis rendu compte en lisant des statistiques que plus de 90 % des femmes commettant des crimes importants le font par amour pour un homme. Je ne savais pas cela du tout et je pensais que peu de gens devaient être au courant. Donc je suis allé en prison et j’ai rencontré des femmes qui avaient tué des hommes, fait des choses extrêmement violentes. Là j’ai trouvé des femmes tout à fait normales. Pas du tout le profil psychopathe. Certainement extrêmement naïves, elles s’étaient retouvées dans les griffes de gens extrêmement malveillants et elles avaient payé pour... Donc j’ai voulu raconter l’histoire d’une femme, Annie, qui au sortir de prison tente de recommencer une vie mais qui est de nouveau confrontée à l’emprise des gens autour d’elle. Annie n’est pas autonome, elle a besoin de retrouver ses ancrages pour évoluer. La seule personne qui ait un ancrage, c’est sa fille Sophie. C’est pourquoi, très naïvement, elle voudrait la convaincre de partir loin. Dans la famille c’est la petite Sophie l’adulte, tandis que la mère est l’adolescente naïve...La grand-mère est un personnage beaucoup plus sombre. Elle a tout perdu, c’est-à-dire son fils, tué par Annie et il ne lui reste que Sophie. Je trouvais que cette trame était un bon terreau pour faire un drame psychologique à plusieurs strates.

JFB: Qu’est- ce qui est nouveau dans Délivrez-moi par rapport à vos deux long métrages précédents?

D.C.: C’était un pari osé par rapport à mes autres films qui étaient des thrillers avec un fond social, politique. Là je m’aventure dans les contrées du film psychologique traditionnel.

JFB: Quand vous commencez un film, avez- vous une idée précise de l’esthétique que vous désirez?

D.C.: Non. Bien sûr, il y a des partis pris esthétiques très marqués dans le film. Notamment ces travellings sur l’eau, et la désaturation des couleurs. Je voulais que le film comporte différents univers très contrastés. Je voulais pour cadre une petite ville monoindustrielle où tout le monde travaille au même endroit, dans cette grande fonderie. Je voulais que cet univers déprimant soit tout près d’un univers vierge, que sont ces îles et ces canaux où la petite fille s’échappe. J’aimais le contraste entre les deux. La grand-mère vit, elle, dans ce manoir, dans un univers qui sent la „boule à mites” comme on dit au Québec. Mais c’est en discutant avec mon décorateur et le directeur de la photo que nous en sommes venus à pousser plus loin ces idées esthétiques-là, qui étaient présentes dans le scénario.

JFB: Comment concevez- vous le travail de réalisateur?

D.C.: Pour moi c’est un travail en équipe, je ne suis pas quelqu’un qui contrôle tout. Je donne la direction et j’écoute ce qui vient autour de moi. Pour la direction d’acteurs aussi, je laisse beaucoup de marge de manoeuvre aux acteurs, actrices. Chez nous quand on commence dans le cinéma on s’entend tout de suite dire „Tout seul tu ne peux pas faire de film”. Je pense que quand on commence un film, oui, on a des idées esthétiques relativement précises, oui on a une idée de la psychologie des personnages mais si on engage des gens eux aussi créatifs, ils vont être capables d’aller plus loin avec les mêmes idées. Si j’engage de bons limiers, ils seront capables d’aller plus loin dans leur direction que je ne l’aurais fait, mais dans le même esprit.

Propos recueillis par Alexis Courtial

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