De Sárközy à Sarkozy

De Sárközy à Sarkozy

Échos de la francophonie

La chronique de Dénes Baracs

Le père du candidat à l’élection présidentielle française, en tête dans les sondages avant le premier tour, s’appelait Sárközy, un beau nom hongrois. Le candidat lui-même porte le nom de Sarkozy – un nom français un peu exotique. En bref c’est le“ fil hongrois” dans la campagne présidentielle de l’Hexagone. Ce détail a certainement accru l’intérêt de mes compatriotes pour cette élection française, même au-delà du fameux vers du poète hongrois qui nous incita à “regarder vers Paris”.

Oui, mais plus rien n’est simple dans notre monde globalisé : même la nationalité devient une notion mystérieuse et discutée - à tel point qu’au moment où beaucoup de Hongrois découvraient avec intérêt que Nicolas Sarkozy, fils d’un ancien propriétaire terrien hongrois, briguait, non sans espoir, la Présidence française, le candidat en question a jugé nécessaire de préciser qu’il n’était pas hongrois, pas plus que la femme qui l’interpella récemment n’était algérienne, parce que tous deux sont tout simplement des Français.

Grâce à mon antenne satellite, j’ai pu suivre en direct cet épisode révélateur de la campagne présidentielle française. Début février le président du parti au pouvoir, l’UMP (Union Pour la Majorité), déjà en campagne pour l’investiture suprême, inaugurait une émission télévisée d’un nouveau type, conçue comme un débat entre les candidats et les citoyens, un concept jusqu’alors inédit en France.

Dans cette émission de la chaîne privée TF1, intitulée J’ai une question à vous poser, le (ou la) présidentiable de la soirée est confronté(e) à un panel d’une centaine de téléspectateurs choisis “scientifiquement” par un institut de sondage, de telle façon qu’ils représentent toutes les couches sociales et opinions politiques françaises.

C’est ainsi qu’une jeune habitante de Lille, prénommée Hayette, quand arriva son tour, reprocha au ministre de l’intérieur d’avoir nommé à la tête du Conseil français du culte musulman (CFCM) un Algérien, «alors que la majorité des musulmans (en France) sont marocains». «Je suis algérienne, mais les Marocains sont majoritaires. Pourquoi on n’a pas le droit à la démocratie dans notre propre culte musulman ?», lança-t-elle.

La question a touché un point délicat et en même temps essentiel pour le politicien qui a répondu avec passion: «Vous n’êtes pas une Algérienne, vous êtes une Française. A mes yeux, vous n’êtes pas algérienne et je ne suis pas hongrois.» L’échange animé a surpris le spectateur lointain que j’étais. Pas tellement la réaction du ministre parce qu’elle était en soi conforme à la position traditionnelle de la France en la matière, c’est-à-dire qu’une fois la citoyenneté française acquise, une fois admis comme un membre de la nation, vous êtes tout naturellement français, indépendamment de vos origines. Ce qui me choqua c’était le fait qu’une affaire intérieure relative aux immigrants de foi musulmane en France puisse toucher de si près la notion de la nationalité en général et concrètement puisse servir d’occasion au ministre d’éclairer la notion qu’il a de sa propre identité – de Français, bien sûr.

Aucun doute sur ce point même si, à l’approche des élections, les journalistes français qui s’intéressent au roman personnel du politicien de l’UMP ont afflué vers le petit village hongrois d’Alattyán où, avant la guerre, son grand-père était un grand propriétaire et où son père a passé sa première jeunesse. L’histoire a pris une autre voie.

Les Sárközy ont cessé de fréquenter la région avec l’arrivée de l’Armée Rouge en 1944. Après la guerre, Pál, son père, qui vit aujourd’hui près de Paris, s’est enrôlé dans la légion étrangère française et - jeune homme - a fait ses classes en Algérie. Il a ensuite épousé la fille d’un médecin parisien, dont il a eu trois garçons, Guillaume, Nicolas et François. Entre-temps les lettres á et ö ont disparu du nom de famille, la langue hongroise s’est perdue en chemin. Nicolas Sarkozy n’a jamais caché cette histoire, il s’est déclaré toujours fier de son origine hongroise, mais il a suivi une éducation classique et une carrière politique typiquement françaises - avec le succès éclatant qu’on connaît. Et je ne dirais même qu’il a gagné ce succès “malgré” son origine familiale, car je suppose que la volonté de faire ses preuves dans sa nouvelle patrie devait donner une motivation supplémentaire à son père dont Nicolas pouvait hériter un certain élan lui aussi .

Une raison de plus pour qu’il soit sincèrement convaincu des vertus de l’intégration dans la société française - et c’est l’ironie de l’Histoire qui l’a justement conduit, lui, fils d’immigré, au poste de ministre de l’intérieur, auquel revient la tâche d’élaborer les méthodes de lutte contre l’immigration illégale, question délicate dans le contexte où des millions d’immigrés sont désormais installés légalement en France - mais aussi beaucoup illégalement qui espèrent légaliser leur situation.

De là, l’autre surprise pour le Hongrois que je suis, c’est d’entendre le numéro à succès du rappeur Zedess, d’origine burkinabée, qui demande : «Monsieur Sarkozy, pourquoi avez-vous quitté la Hongrie», et de critiquer ses mesures contre l’immigration clandestine. Zedess se trompe, bien sûr, c’est le père de monsieur Sarkozy qui a quitté la Hongrie et nous pourrions expliquer au rappeur les raisons historiques de son départ, mais cela serait un peu long, même en rap - tout aussi compliqué que d’expliquer à un Hongrois pourquoi un rappeur burkinabé, star des médias français, parle de la Hongrie...

Pour compliquer encore un peu les choses, nous savons que, malgré les efforts des autorités concernées, le modèle français en matière d’intégration ou d’assimilation des fils et des filles d’immigrés est contesté non seulement par l’extrême droite, qui le juge trop permissif, mais aussi par une frange des immigrés eux-mêmes qui - même s’ils obtiennent la citoyenneté - veulent conserver leurs coutumes et leur mode de vie. Ces coutumes ne sont pas toujours compatibles avec le fonctionnement de la société française, ce qui alimente les crises successives, celle des banlieues, celle du port du voile à l’école, crises qui renforcent les extrêmes et érodent la démocratie.

Jean-Marie Le Pen, le candidat de l’extrême droite a aussi manipulé le “fil hongrois” contre le candidat de l’UMP en déclarant, en substance, que s’il était un Hongrois d’origine française, jamais il ne penserait à se porter candidat au poste de Président de la République hongroise. Il est vrai qu’il a pu soupçonner qu’avec certains de ses propos musclés sur l’immigration clandestine l’ancien ministre de l’intérieur voulait chasser sur son domaine réservé…

En tout cas, après ces polémiques, les Français en savent maintenant un peu plus sur la Hongrie, et nous en savons un peu plus sur Nicolas Sarkozy, mais surtout sur les Français et sur ce qu’ils considèrent comme français.

D’ailleurs, je ne crois pas qu’en contemplant le paysage électoral français nous puissions nous permettre des jugements trop hâtifs. Quel que soit le résultat des élections, ces problèmes ne disparaîtront pas d’un jour à l’autre. Ces dilemmes ne sont pas non plus inconnus chez nous, malgré le fait que la proportion des étrangers est beaucoup plus faible en Hongrie. Au contraire. La tolérance envers eux n’est pas notre fort. Un sondage récent a montré que la grande majorité des Hongrois s’oppose à l’intégration des étrangers, même à celle des “Pirèzes”.

Vous n’avez pas encore entendu parler des Pirèzes? Pour cause : c’est le nom d’une ethnie imaginaire, inventée par un sociologue ingénieux, dans le seul but de mesurer la xénophobie “abstraite” de mes compatriotes.

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