De Bruxelles à Budapest

De Bruxelles à Budapest

La crise, le traité de Lisbonne, mais aussi la mondialisation et les relations bilatérales entre la Belgique et la Hongrie. Voici quelques uns des sujets que nous avons eu l’occasion d’aborder avec M. Pierre Labouverie, Ambassadeur de Belgique à Budapest. Un homme optimiste et un Européen convaincu.

 JFB : Vous avez un parcours professionnel assez original…

 Pierre Labouverie: Il est original en ce sens que j’ai passé l’essentiel de ma carrière diplomatique au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie. J’étais successivement en poste au Nigéria, au Zaïre, en Egypte, puis en Inde et en Arabie Saoudite. Après un retour en Belgique, j’ai également ouvert une nouvelle ambassade en Ouganda. De là, je suis de nouveau retourné en Belgique, puis reparti pour l’Afrique du Sud et maintenant ici. C’est le premier poste que j’occupe en Europe, le premier où il n’y a pas de problème de sécurité et le premier aussi où j’ai du chauffage dans la résidence ! La Hongrie c’est un retour aux sources en quelque sorte, en Europe, et cela me convient très bien car j’ai des enfants d’une part, mais aussi parce que c’est passionnant de se trouver au cœur d’une Europe en construction.

 JFB : La Hongrie et la Belgique sont-elles proches ?

P.L.:Oui, et d’autant plus proches que nous aurons en 2010-2011 une présidence commune de l’Union européenne. Le nouveau système de la présidence de l’UE, comme vous le savez, consiste en une présidence en trio et le trio en question sera l’Espagne, suivie de la Belgique et enfin de la Hongrie. Cela crée donc des synergies, des coopérations renforcées entre la Hongrie et la Belgique.

 JFB : Présidence que vous préparez déjà ?

P.L.:Oui, il y a déjà des contacts entre différents ministères. Le Ministère des Affaires Etrangères d’une part mais aussi des ministères techniques, sans oublier des contacts interparlementaires. Tout cela va s’amplifier dans les mois à venir et à partir de 2009, il y aura la préparation d’un programme conjoint. Evidemment, avec la crise financière et économique qui s’installe, tout cela est un peu remis en question : on ne peut pas préparer une présidence un an et demi à l’avance au niveau du contenu final. Cela dépendra de la conjoncture du moment. Mais l’on peut d’ores et déjà préparer les aspects techniques, de coopération, de logistique.

JFB : Vous ne connaissez pas encore les grands dossiers qui seront à l’ordre du jour ?

P.L.:Les grands dossiers, on les connaît plus ou moins. Il y a les perspectives financières par exemple, mais aussi le traité de Lisbonne qui aura une influence très importante sur le déroulement de notre présidence, s’il est finalement adopté – mais pour cela il devrait y avoir un nouveau référendum irlandais, pourtant nous ne savons pas encore s’il aura lieu, ni quand, ni comment. Quoi qu’il en soit, de nombreux sujets seront développés, comme l’élargissement à de nouveaux Etats membres (notamment la Croatie) ou des thèmes qui sont dans la « routine » de l’UE : la stratégie de Lisbonne par exemple, c’est-à-dire le développement technologique et des innovations au sein de l’UE, qui est un domaine très important et devra être revu durant ce futur trio présidentiel. Et bien d’autres choses sont en cours, qui ont – ou non – un rapport avec la crise. On voit par exemple que la présidence française a eu à gérer deux crises majeures : la crise géorgienne d’une part et la crise financière internationale d’autre part. Et, il ne faut pas se le cacher, le fait d’avoir eu la France à la tête de la présidence à ce moment-là était un atout important dans la gestion de ces deux crises. Cela aide, en particulier par exemple au niveau des contacts avec les Etats-Unis ou la Russie, d’avoir, à la tête de l’Europe, une présidence influente.

 JFB : Justement, que pensez-vous dans ce contexte de cette formule d’une présidence tournante ?

P.L.:Si le traité de Lisbonne passe, il est évident que nous aurons un autre système, avec une présidence stable et un président élu qui assurera donc une certaine continuité. Quelque part, la crise d’aujourd’hui montre qu’il est effectivement important que l’on adopte le traité de Lisbonne.

 JFB : Europe en panne, traité non ratifié, méfiance envers les institutions, il y a quelque chose qui coince, non ?

P.L.:Cette crise financière a pourtant prouvé que l’Europe est là et elle est même allée bien plus loin que les Etats-Unis. C’est l’UE qui a demandé à ce que soit organisée une grande réunion financière à New York pour parler de la crise au niveau mondial, c’est-à-dire entre les Etats-Unis, l’Europe, la Chine, mais aussi le Japon, l’Inde ainsi que des pays émergeants, et ce pour revoir le système financier mondial et mettre de nouvelles balises au sein de ce système. La crise a prouvé que l’UE existe, même si elle a des problèmes majeurs, c’est vrai. Par ailleurs, il est vrai aussi qu’au niveau de la politique étrangère, il y a encore des attitudes divergentes – on l’a encore vu lors de la deuxième guerre du Golfe – mais c’est une histoire d’évolution et il faut donner du temps au temps, rester optimistes. En tant que Belges, nous sommes très pro-européens et nous sommes pour une approche communautaire. Là encore c’est une question d’évolution. C’est vrai que les dix nouveaux pays entrants ont parfois des attitudes un peu différentes de celles de la « vieille Europe », mais là aussi des convergences se créent. C’est une histoire en mouvement et nous restons optimistes.

 JFB : On parle souvent du mélange des genres entre politique intérieure et extérieure – comme c’était par exemple le cas en France avec le rejet de la constitution lors du référendum. Qu’en est-il en Belgique ? Y a-t-il le même doute ?

P.L.:En Belgique en général l’approche de l’UE est assez positive. Il est vrai que la Belgique accueille les institutions européennes. Il y a des doutes aussi mais en Belgique, la politique intérieure n’a pas réellement d’influence sur le sentiment européen. Nous n’avons pas de parti en Belgique qui soit opposé à l’idée européenne par exemple. Il y a des questionnements quant à la finalité et l’évolution un peu trop lente de la construction européenne, ça c’est sûr, mais il n’y a pas d’anti-européens. Cela dit nous n’avons pas organisé de référendum…

 JFB : Quelle est la nature des relations entre la Belgique et la Hongrie ?

P.L.:Les relations sont excellentes, mais l’on dit cela de la plupart des pays européens entre eux. Elles sont aussi dynamisées par cette présidence commune, avec une même idée de faire avancer l’Europe. Les deux pays s’entendent très bien sur la plupart des dossiers et les divergences sont très légères. Pour la Hongrie, ce sera la première présidence, alors que ce sera la treizième pour la Belgique, et la cinquième pour l’Espagne. Il y a donc une différence d’expérience. Pour autant, nous pourrons aussi bénéficier de l’expérience hongroise sur bien des dossiers, comme les relations avec les voisins orientaux de l’UE ou avec les Balkans : sur ces sujets, la Hongrie a des atouts majeurs. En revanche, sur les relations avec l’Afrique par exemple, la Belgique a une expérience qu’elle peut partager avec la Hongrie. Il y a donc de vraies synergies entre les deux pays.

En matière de relations strictement bilatérales, il y a de nombreux investissements belges en Hongrie, ou venant de sociétés partiellement belges… La Belgique est l’un des pays qui se sont le plus ouverts à la mondialisation et elle a parfois perdu des joyaux – nous venons ainsi de « perdre » la banque Fortis récemment –, principalement en faveur de la France d’ailleurs. C’est un fait : la majeure partie du secteur énergétique (électricité, gaz, pétrole) est français, la distribution est partiellement française, les banques aussi… de larges pans de l’économie belges sont ainsi devenus français. Cela crée une certaine dépendance, mais cela signifie aussi que, parmi les entreprises présentes en Hongrie, plusieurs sont d’origine belge, avec des capitaux étrangers. C’est le cas notamment de l’entreprise de construction CFE, une entreprise belge qui appartient au groupe Vinci. Un autre exemple c’est Electrabel, qui appartient au groupe SUEZ-GDF. Il y a aussi la société Profi (Cora/Match). C’est une évolution normale mais c’est beaucoup plus flagrant pour un petit pays. A mon avis nous n’avons pas suffisamment su garder de pouvoir décisionnel en Belgique.

Nous avons néanmoins conservé quelques champions nationaux, et, pour en revenir à la Hongrie, la troisième banque du pays, K&H, est par exemple propriété à 100% de la banque KBC, ce qui représente le principal investissement belge ici. Nous avons également la brasserie InBev, le premier brasseur mondial, une entreprise belgo-brésilienne qui a en Hongrie deux implantations importantes. Les entreprises belges sont en général très satisfaites de leurs investissements en Hongrie.

Frédérique Lemerre

 

 

Catégorie