Dávid contre Goliath

Dávid contre Goliath

Scandales des écoutes téléphoniques

Depuis deux semaines les médias hongrois ne parlent que de cela: des écoutes téléphoniques qui ont fortement secoué le monde politique. Et le scandale grossit de jour en jour.

 

Le détonateur de cette bombe politique est Ibolya Dávid, le leader du parti Forum Démocratique Hongrois (MDF). Depuis des semaines elle préparait sa réélection au sein de son parti où elle n’avait qu’un seul sérieux adversaire, le jeune Kornél Almássy. Almássy a déjà une carrière fulgurante derrière lui. Membre du MDF depuis 2003, il devient président du comité de Budapest en 2005. Face à cet adversaire, et à l’approche de ces élections, Ibolya Dávid a même pris la décision d’annuler son voyage officiel aux Etats-Unis, pourtant prévu depuis des mois. La suite des événements montre qu’elle avait raison…

Le feuilleton politique commence le 12 septembre dernier lorsque la présidente du MDF convoque une conférence de presse inattendue qui débute comme un film d’espionnage. Elle arrive une disquette à la main qui s’avère une copie d’enregistrement d’écoutes téléphoniques. Sur cet enregistrement on peut entendre János Tóth, l’un des dirigeants de la société de gardiennage UD ZRT, discutant avec Sándor Csányi, le Président et propriétaire de la banque hongroise OTP. Il lui explique que certaines personnes préféreraient que Almássy devienne le nouveau président du MDF et qu’elles leur demandent de rassembler des informations compromettantes sur Ibolya Dávid et le MDF. Selon Tóth, ce sont deux anciens collaborateurs d’Orbán qui tirent les ficelles : András Tombor (conseiller politique d’Orbán) et István Stumpf (ministre de la chancellerie sous Orbán). Tóth demande conseil à Csanyi qui esquisse une réponse par téléphone, mais lui propose une date ultérieure pour en discuter sur le fond de vive voix. (Depuis que le scandale a éclaté, les intéressés démentent vigoureusement une quelconque participation dans cette affaire et Csányi affirme qu’il n’y a jamais eu aucune suite à cette conversation téléphonique. István Stumpf a même attaqué Ibolya Dávid en justice.) Le jour même, Ibolya Dávid portait plainte contre Almássy auprès de l’Agence d’Etat pour la Sécurité Nationale (AESN) et à l’Office du Procureur Général contre la société UD ZRT pour recherche et vol d’informations et investigation illégale.

Depuis, les révélations vont bon train. Pas un jour sans que les journaux hongrois ne dévoilent de nouvelles informations.

Le lendemain de la conférence de presse de Ibolya Dávid, Almássy se retire subitement de la course présidentielle sans donner aucune explication valable. Il a été dit que sa famille et lui ont été menacés par les agents du NBH (la DST hongroise). Fin du premier épisode.

Il faut savoir que la société UD ZRT a été fondée par d’anciens collaborateurs de la NBH (la DST hongroise) et des Renseignements Généraux. Les leaders du Fidesz ont toujours eu de très bonnes relations avec UD ZRT. Les dirigeants de cette « société » ont régulièrement rencontré certains anciens ministres du Fidesz (Ervin Demeter, ministre sans portefeuille sous Viktor Orbán et membre du MDF jusqu’en 2000, ou encore László Kövér, également ministre sous Viktor Orbán et ami proche de ce dernier).

Les membres du Fidesz susmentionnés ont reconnu avoir rencontré certains cadres de la société UD ZRT auxquels ils demandaient de rechercher certaines informations : qui était en communication avec qui, quand et où ? Les bruits de couloirs des médias hongrois laissent circuler plusieurs noms potentiellement visés par UD ZRT à la demande du Fidesz : János Veres, ministre des finances, László Keller, secrétaire d’Etat au ministère des finances, Gordon Bajnai, ministre du développement du territoire, ou Sándor Laborcz, actuel directeur de NBH. Les mauvaises langues disent que l’UD ZRT n’est autre que «la petite CIA du Fidesz». Elle s’est spécialisée notamment dans la recherche d’informations susceptibles de détruire la réputation d’un adversaire, dans les enquêtes privées, la surveillance électronique ou le piratage informatique. La société a même tenté de pénétrer illégalement le système d’exploitation des serveurs gouvernementaux pour obtenir des informations classées Secret Défense. C’est la raison pour laquelle le NBH a mis sur écoute la société UD ZRT depuis près d’un an. Probablement le NBH a-t-il «accidentellement» écouté la fameuse conversation téléphonique et a fourni l’enregistrement à Ibolya Dávid, bien que les personnes concernées nient farouchement cette éventualité.

En connaissant les faits, l’on pourrait se poser certaines questions. Dans quelles conditions les représentants de l’Etat ont-ils le droit de violer l’intimité de la correspondance électronique entre les citoyens ? Faut-il craindre l’Etat ou les sociétés privées qui tentent d’exploiter ces données pour le profit ? Les écoutes des citoyens (en dehors de la stricte nécessité de la lutte contre le crime) paraissent l’un des pires viols de l’intimité. Evidemment, on peut facilement abuser de cette fameuse notion de «sécurité de la défense nationale »…

Les agents du NBH ont perquisitionné les bureaux de UD ZRT et ont saisi une importante quantité de fichiers électroniques, d’ordinateurs, de flopys, de CD, d’appareils photos, de téléphones portables. Certains fichiers auraient des origines douteuses, mais les spécialistes analysent encore leur contenu à l’heure actuelle. L’avocat de la société souligne que la perquisition a été abusive et que tout se passe selon un scénario bien précis défini par György Szilvássy, ministre sans portefeuille, services secrets civils . Selon József Horváth, le directeur de UD ZRT, György Szilvássy veut discréditer le Fidesz à travers sa société.

A l’heure où nous imprimons ce journal l’instruction suit son cours. Kornel Almássy a été exclu du MDF, mais il n’accepte pas cette décision «arbitraire» et le 27 septembre, le MDF a élu sa «nouvelle présidente», qui était sa seule et unique candidate : Ibolya Dávid.

Affaire à suivre…

Ditta Kausay

 

Qui est Ibolya Dávid ?

C’est la Présidente du MDF depuis 1999. Elle fut aussi ministre de la justice, seule femme au sein du gouvernement de Viktor Orbán entre 1998-2002. La perte des élections en 2002, auxquelles le MDF et le Fidesz s’étaient présentés sur une liste commune, a créé un profond traumatisme au sein de son parti. Le Fidesz a tenté de l’éliminer de la course électorale, la stratégie d’Orbán ayant toujours été d’être le seul parti de droite sur l’échiquier politique. Ibolya Dávid a même reproché à Orbán une rhétorique populiste, un manque de distance vis-à-vis de l’extrême droite et une politique économique téméraire. La relation des deux dirigeants est devenue exécrable et la rupture définitivement consommée. A partir de cette date, le MDF a redéfini sa politique pour se situer désormais sur «une troisième voie», en essayant de rester au centre et de garder une distance avec les deux grands : le Fidesz, parti de droite et le MSZP, de gauche.

 

 

 

 

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