Danse: Crystal Pite
Sophie Lemeunier
Lost action : «Disparu dans l’exercice de son devoir» ou «acte inutile», voici les deux chemins d’interprétation que suggère à première vue le titre de cette chorégraphie, mise en scène par la Canadienne Crystal Pite. Inspirée par l’affaiblissement du souvenir des vétérans de la Première Guerre mondiale, génération dont il ne reste que quelques témoins, la chorégraphe s’est proposée de créer un spectacle qui rend honneur à ces Hommes, avec une majuscule. Car à travers eux elle ne voit que des vies et des êtres humains, indépendamment de tout contenu idéologique.
Déjà la scène, plus ou moins traditionnelle, surprend par sa simplicité abstraite : le tapis de danse rouge reflète à la fois les rayons du soleil couchant et la strate de sang couvrant les champs de bataille. Sont-ce des alpinistes gravissant les montagnes ou des soldats défiant l’ennemi et le temps du fond des tranchées ? La lumière est dosée avec modération, les projecteurs ne laissent deviner sur le plateau que les corps habillés de noir et blanc. Quatre hommes se suivent, s’efforcent de s’imiter les uns les autres et prennent possession de l’espace. Nous entendons des bribes de paroles qui débouchent en une série de propos répétitifs à laquelle une danseuse répond dans un solo saccadé, fragmentaire. «Une personne responsable», entendons-nous, et nous commençons à voir tous les gestes sous un autre angle. Même une telle simplicité scénographique est donc capable de poser l’une des questions parmi les plus difficiles dans l’histoire de l’humanité, celle de la responsabilité. Le rouge devient bordeaux, la musique se tait, il n’y a que le bruit mat des pas qui tonnent dans la salle. Des solos, duos ou quatuors, parfois lyriques, parfois débordant d’une énergie frappante voire cruelle, introduisent, grâce aussi à l’univers sonore et à la présence féminine, une dimension sacrée dans ce spectacle. Des arcs humains s’écroulent au son des cloches, la marche forcée se transforme en un cortège funèbre, le responsable est désigné et le public contraint de se poser une question de plus : est-ce une bonne décision ?
La chorégraphie de Crystal Pite est un bel aveu sur la solitude, l’interdépendance et la complémentarité des hommes, une composition à tiroir bien réfléchie. Ce n’est pas par hasard si les critiques les plus avertis se gardent de comparer l’approche de cette trentenaire vancouveroise, artiste associée de la danse au CNA (Centre National des Arts d’Ottawa) et détentrice notamment des prix Isadora (2005) et Rio Tinto Performing Arts Award (2006, pour Lost action). Elle a fait ses premiers pas dans la compagnie de ballet de la Colombie Britannique avant de partir à l’aventure chorégraphique. Depuis 1990, elle a travaillé avec le Netherlands Dance Theatre, le Ballett Frankfurt, les Ballets Jazz de Montréal et plusieurs ensembles indépendants. En 2001, elle a fondé sa propre compagnie, Kidd Pivot, qui ne cesse de collectionner les succès.
Cette dernière se déploiera au Trafó après quelques représentations à Calgary, puis à Whitehorse, et continuera son chemin vers Francfort et Tel-Aviv avant de retourner au Canada.
Kidd Pivot (CAN) :
Lost action
Les 22 et 23 octobre à 20h au Trafó (Liliom u. 41, 9e arrt.)