Dans le crible du temps

Dans le crible du temps

Célébration de la revue Nyugat

Les célébrations autour du centenaire de la revue Nyugat (Occident) sont nombreuses et suscitent également beaucoup de débats dans la presse hongroise. Expositions, spectacles, colloques et tables rondes à Paris et à Budapest ainsi qu’émissions télévisées se succèdent, évoquant tour à tour les grandes figures de la revue et son rayonnement.

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«Personne aujourd’hui ne peut plus contester l’influence et l’importance du groupe Nyugat sur la poésie proprement lyrique. Ce groupe tient son nom de la revue autour de laquelle ses poètes se sont rassemblés comme les symbolistes français le furent autour de Mercure de France. Endre Ady, le chef de file de la génération, est un des grands génies lyriques qu’a vu naître l’Europe contemporaine», expliquait, dès les années 20, François Gachot, historien d’art et écrivain et qui au fil des années passées en Hongrie devint littéralement amoureux de la culture hongroise. Lancer une telle revue était sans équivoque un appel au changement au sein de la société et des mouvements artistiques. A l’aube du XXe siècle, ses pères fondateurs étaient des pionniers d’un renouvellement littéraire dont Ady devint la figure mythique.

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«Passe en moi, verbe des prophètes !», s’exclamait Ady dans son poème Dans le crible du temps, merveilleusement interprété par Emmanuelle Riva dans l’adaptation de Jean Rousselot lors d’une émission publique de France Culture. C’était là l’une des premières émissions littéraires bilingues entre la Hongrie et la France et le public était enthousiaste au même titre que les poètes français qui interprétaient les poèmes !

«Que chacun résolve comme il peut son problème. On ne peut vivre en avance d’un siècle, on ne peut rester à errer dans l’éther. Le «pays-bac»* appareille vers l’Est, que les faibles y quémandent place !». Jean-Luc Moreau, qui a traduit cet article de Ady, explique chaque année à ses étudiants et ses lecteurs ce poète « qui ne ressemble à personne». Evoquer le «pays-bac» au tournant du siècle prouve combien le moment était décisif pour appeler à changer l’amertume de la destinée nationale. C’est en se référant à cet article, «en marge d’un manuscrit inconnu de la Bibliothèque Corvina» de Ady, que György Tverdota a lancé l’appel à la célébration et à la réflexion avant tout sur les pages de l’hebdomadaire littéraire Élet és Irodalom qui est suivi actuellement par d’éminents philosophes et hommes de lettres pour retracer tout ce que Nyugat a apporté en termes de modernité révolutionnaire. Au Musée littéraire Petôfi, spectacles et colloques se succèderont ainsi toute l’année et une exposition sera inaugurée lors du Festival de printemps. Une autre exposition a lieu à la Bibliothèque Nationale en ce moment même.

La relation entre Nyugat et la France a donné lieu à de nombreuses études et colloques, et, ce, bien avant les célébrations du centenaire, puisque les rédacteurs se réclamaient de valeurs intellectuelles et sociales dont l’Occident, et la France en particulier, leur offrait un modèle. Des liens sont tissés entre écrivains et professeurs hongrois et français, mais aussi avec d’autres revues renommées, telles que la NRF et la revue Europe. Commençant par les poètes Ady, Babits, Kosztolányi, le romancier Móricz, l’écrivain et le mécène Lajos Hatvay, les rédacteurs Osvát et Ignotus, on se retrouve en 1939 où Gyula Illyés est appelé à seconder Babits à la direction. Il réalisa la transition entre deux époques et c’est lui qui la dirigea jusqu’à la fin comme il se le rappelle : « La revue Nyugat disparut en 1941, dans l’héroïsme et le deuil. ( ...) je fus l’un des responsables, malgré moi, de l’effort accompli, puisque j’étais le rédacteur de la revue «occidentale», la seule peut-être du continent. »

Éva Vámos

* Par l’expression «pays-bac» (Kompország en hongrois), Ady exprime que, bien plus qu’un pont fixé entre Orient et Occident, la Hongrie est comme un bateau, mobile entre les deux rives d’un fleuve.

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