Cultures d'Europe
C'est au cœur de Budapest, dans un magnifique bâtiment tout juste rénové, que Josep Maria de Sagarra Àngel, directeur de l’Institut Cervantès de Budapest, a bien voulu répondre aux questions du JFB sur la culture.
JFB : Où et quand avez-vous appris le français ? Est-ce une tradition familiale ?
Josep Maria de Sagarra : A Barcelone. J'ai appris le français à l'école, mais ma connaissance de la culture française vient de la maison. Mes parents parlent tous les deux très bien le français. Ma mère a le titre de professeur de français qu’elle a obtenu à l’université de Barcelone, quant à mon père, il est né à Paris en 38 pendant la guerre d’Espagne. Mes grands-parents y avaient séjourné pendant ces années difficiles. Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, ils sont revenus en Espagne. Mais, dans les années 45-46, ils sont rentrés à Paris attendre la chute de Franco. Puis ils sont retournés en Espagne et y sont restés. Plus tard mon père est allé faire ses études à Paris, à la Sorbonne. A la maison, la bibliothèque de mon père est riche en livres français. Il a d'ailleurs plus l’habitude de lire en français qu’en espagnol ! Je me rappelle que nous allions toutes les semaines en famille acheter sur las Ramblas Le Nouvel Observateur, Le Monde et surtout le supplément littéraire. On passait ensuite à la librairie française. Dans mon cas il s'agit d'un français passif. Je lis beaucoup en français, mais le pratique peu. C'est ici à Budapest que j'ai à nouveau pratiqué le français avec les francophones.
JFB : Comment expliquez-vous l'intérêt des Espagnols pour la langue française ?
J.M.de S. : Traditionnellement en Espagne la France a toujours été une référence du point de vue culturel. De plus c'est un pays voisin. Avant la Seconde Guerre mondiale, le français était une langue importante, de prestige, pas seulement pour les intellectuels, mais aussi pour les cadres supérieurs. Pour un intellectuel espagnol à l’époque, parler le français était normal. C’était presque obligatoire. Mais c’était encore mieux de connaître aussi l’allemand. C’est après la guerre qu’on a été envahi par la culture anglo-saxonne. On dit qu'avant la guerre on avait l’habitude à Barcelone de boire du Cognac ou du gin, et après la guerre du whisky. L’anglais est avant tout la langue du business et la langue de la diffusion de la science.
JFB : Vous êtes marié à une Polonaise, et avez choisi de scolari-ser votre fille au Lycée français. Quelle langue parlez-vous à la maison ? Et pourquoi avoir choisi l’école française ?
J.M.de S. : À la maison nous parlons le polonais. Ma fille est née en Pologne, à Varsovie. Ma femme est de Varsovie, ses parents y vivent. Et moi je parle polonais. Quant à l’école, le système français est très proche du système espagnol.
JFB : Pouvez-vous nous dire quel a été votre parcours avant d’arriver à Budapest ?
J.M.de S. : J’ai fini à Barcelone des études de philologie classique, puis de philologie slave que j’ai prolongées en Pologne. On peut dire que je suis poloniste plus que slaviste. Pendant quelques années je me suis occupé à Barcelone de promouvoir ou diffuser la culture slave et polo-naise. J’ai organisé des expositions, des concerts, des spectacles théâtraux. Il s’agissait de commandes de diverses institutions publiques ou privées. Je me suis aussi occupé des belles-lettres dans la presse espa-gnole et de traductions littéraires. En 1998, on m’a proposé de m’occuper de l’Institut Cervantès à Varsovie. J’y ai passé cinq ans. On m’a alors demandé de venir à Budapest pour y ouvrir l’Institut Cervantès. Il existait ce qu’on appelle une «aula », une structure hispanique attachée à l’université, à ELTE, avec une bibliothèque et une salle multimédia. A partir de 2003, nous avons donc travaillé à la création d’un institut. Il a fallu d’abord acheter un bâtiment, avec au début beaucoup de travail administratif. Mais l'année suivante, en septembre 2004, nous avons inauguré l’Institut. Nous y proposons trois pôles d’activités : l’activité culturelle, l’activité éducative et la bi-bliothèque comme pan de formation.
JFB : Quel est votre public ?
J.M.de S. : C’est très curieux, et c’est je pense la même chose dans tous les autres centres, le public des activités culturelles et des activités éducatives sont des publics différents. Il y a les personnes qui s’intéressent à la culture espagnole et qui ne connaissent pas nécessairement la langue. Ils viennent aux présentations, aux conférences, là où intervient la parole. Nous avons toujours un interprète hongrois. Et puis il y a la colonie espagnole et le public des autres pays hispaniques. Mais il y a une caractéristique en Hongrie que je voudrais souligner : la diffusion de l’hispanisme est très développé. On peut le voir à l’université, dans les chaires hispaniques de Budapest, de Szeged, de Pécs ou de Miskolc. C’est un hispanisme qui a dépassé l’étape de la diffusion, et qui est devenu un hispanisme spéculatif dans le sens du raisonnement.
Nous organisons ici, tous les ans, un colloque international hispanique, avec la participation de ELTE, et avec toutes les universités de Hongrie. Le succès vient de la discipline et de l'excellent niveau universitaire ici. Les universités de Hongrie, d’Europe centrale et d'Espagne participent à ce colloque.
JFB : Vous êtes catalan d’origine. Cela influe-t-il sur votre travail ?
J.M.de S. : Non cela ne fait pas de différence. Mais il faut dire que dans notre représentation nous essayons de refléter une image de notre pays. Comme vous le savez l’Espagne est un pays plus complexe qu’on ne le pense. Il fonctionne selon un système territorial que nous appelons le système des autonomies. Après l’expérience traumatisante de la guerre civile et de la dictature, le premier objectif de la démocratie a été la réconciliation de la nation à travers ce système d’autonomies. Le but de l’Institut Cervantès est la diffusion de la langue espagnole et aussi de sa culture, aussi diverse soit-elle, sans oublier les autres langues de l’Espagne. Il se trouve que les trois langues sont très bien représentées à l’université de Budapest. Il y a des cours de catalan, de basque et de galicien. Le but de l’institut est aussi de promouvoir la culture des autres pays dans lesquels l’espagnol est la langue officielle, la langue de 450 millions de personnes, dans 19 pays. C’est la raison de notre collaboration avec les différentes ambassades. Notre objectif est donc large et complexe.
JFB : Que retiendrez-vous de votre séjour à Budapest ?
J.M.de S. : C’est le plaisir d’habiter dans une capitale comme Budapest. C’est une ville où je me trouve presque comme chez moi à Barcelone. Ces deux villes se sont développées durant la même période, à la fin XIXe début XXe, et l'architecture reflète leur histoire. Lorsque parfois je me promène le long du Danube avec ma femme, nous regardons les façades des bâtiments qui nous rappellent les façades de Barcelone du côté de la mer. Et les Hongrois sont des gens pleins de qualités. C'est vrai qu'il y a la difficulté de la langue, mais même sans la connaître, on peut malgré tout se comprendre assez bien et avoir une complicité. Nous avons lié de nombreuses amitiés avec les Hongrois qui parlent espagnol ou d'autres langues. Ce sont des personnes ouvertes et avec une culture très proche de la nôtre. La Hongrie, au milieu de l’Europe centrale, a participé vivement à la construction de la culture européenne occidentale.
Propos recueillis par Milena Le Comte Popovic
Instituto Cervantes,
Vörösmarty u. 32, 1064 Budapest, tél. :36 1 354 3670
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