Csillag et Le royaume littéraire
Rencontre avec Clara Royer
C’est au Festival européen spécial premier roman que Clara Royer était invitée à Budapest. Auteur d’un roman écrit en français, mais dont le titre hongrois résonne énigmatiquement pour les lecteurs français, Csillag, elle a aussi publié un ouvrage d’érudition, le royaume littéraire. Quêtes d’identité d’une génération d’écrivain juifs de l’entre-deux-guerres (Hongrie, Slovaquie, Transylvanie).
JFB : Après la présentation traditionnelle des jeunes auteurs par Magyar Lettres Internationales nous avons rencontré Clara Royer pour parler de son tout premier roman qui remonte dans le passé d’une famille juive hongroise. C’est un sujet grave, que pourtant vous n’hésitez pas aussi à traiter par le ludique ?
Clara Royer : Le lien que vous faites entre Csillag et le Royaume est juste. J’ai analysé dans ce dernier les quêtes d’identité d’une génération d’écrivains hongrois juifs et d’origine juive venue sur la scène littéraire à peu près pendant et au sortir de la Première Guerre mondiale. Or, que ce soit György Sárközi, Antal Szerb, Károly Pap ou Béla Zsolt, tous ces hommes ont été malheureux dans leur quête d’une identité stable, qui n’aura été pour eux finalement qu’un horizon contraignant. Ils s’y sont rivés parce qu’il leur fallait échapper à ce qui, dans le contexte culturel de l’époque, remettait en question non seulement leur légitimité d’hommes de lettres hongrois, mais également l’authenticité de leur écriture. Csillag a été un peu écrit en réponse à ce phénomène. J’ai sans doute voulu suggérer que l’on n’est pas obligé d’avoir une identité fixe, que finalement, répondre pour soi et les autres à la question du « qui je suis » n’est qu’une façon de donner un sens à notre vie moderne, mais que cette réponse n’est pas toujours le choix de la liberté. C’est pour cela que le roman suit le chemin pris par l’héroïne, Ethel, depuis la découverte que son « qui je suis » est une fiction totale, à l’acceptation heureuse d’être telle. Quand Pap évoque sa « mélancolie de n’appartenir à rien », mon héroïne, elle, finit par assumer cette posture existentielle.
JFB : Avez-vous puisé dans les expériences de votre famille ou les récits de vos amis venant de Hongrie pour écrire ce roman et quel est le rôle du surnom Csillag ?
CR : L’histoire secrète de Marie, la grand-mère d’Ethel et l’autre personnage-clé du roman, est une réécriture très libre de l’histoire de ma propre grand-mère, qui avait huit ans en 1944. Du côté maternel, ma famille était vraiment une famille juive hongroise. Il s’agissait plutôt de faire un sort aux légendes de ma propre enfance et non pas aux récits que j’ai collectés plus tard en vivant en Hongrie – ceux-ci feront peut-être la matière d’un autre roman. En revanche, ce n’est qu’en Hongrie que j’ai découvert le mot csillag et sa polysémie. Donné à quelqu’un en rajoutant le possessif, csillagom, le mot est l’équivalent de « mon ange », mais tout seul, il signifie étoile, et je pouvais jouer sur tous ses sens. Bien sûr on pense à l’étoile de David, mais il y a aussi derrière l’idée de destinée, ou plutôt de non-destinée dans le cas de l’héroïne, qui tombe des nues en découvrant que sa merveilleuse grand-mère s’est inventé en 1944 une identité juive qui n’avait pas lieu d’être. Et c’est aussi l’étoile de la quête, car dès lors qu’Ethel est privée du socle identitaire sur lequel elle s’est tenu toute sa vie, elle mène son enquête pour comprendre ce qui se cache le mensonge de sa grand-mère, et c’est la matière du roman.
JFB : Vos critiques remarquent un raffinement littéraire dans votre écriture, mais d’où vient l’idée de l’échange des identités ?
CR : L’échange d’identités est une leçon d’amour dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale, qui n’a rien d’historique, ou alors d’ordre anecdotique. Le secret de Marie tient à une histoire d’amour entre deux filles à peine sorties de l’enfance. C’est une expérience très universelle, pudiquement évoquée par l’une des images finales du roman. Je voulais suggérer combien le milieu d’origine et l’identité que l’on s’approprie sont des facteurs de hasard. Il est certain que mon roman rejette les lois du sang.
Clara Royer: Csillag, Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2011
Clara Royer: Le Royaume littéraire, Honoré Champion, Paris 2011.
Éva VÁMOS
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