Crise financière: A la recherche d'explications
Péter Ákos Bod fut ministre de l’industrie et du commerce dans le premier gouvernement démocratiquement élu après le changement de régime. Il devint ensuite président de la Banque Nationale de Hongrie (BNH), qu’il a dirigée entre 1991 et 1994. Il a également travaillé au sein de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et a enseigné dans plusieurs universités européennes et américaines. Péter Ákos Bod est aujourd'hui le chef du département de politique économique de l’Université Corvinus et se prononce souvent sur l’actualité économique dans les médias. C’est donc avec lui que nous avons essayé de comprendre les évènements qui touchent l’économie mondiale.
JFB: Il y a plusieurs opinions sur l’importance de la crise que traverse actuellement l’économie mondiale. Certains commencent à pronostiquer la fin du capitalisme. A votre avis cette crise est-elle si profonde ?
Péter Ákos Bod: Cette crise mondiale est partie des pays qu’on appelait autrefois le “centre” et s’est ensuite étendue à la “périphérie” proche. La crise américaine des logements, qui est à l’origine de la crise financière est due à deux dysfonctionnements. D’une part, elle est la conséquence d’une série d’erreurs de réglementations, mais elle est aussi le résultat d’un Etat trop présent: des individus, qui étaient pourtant peu solvables, ont pu acheter des appartements dans le cadre du programme forcé de logements. Le fait que l’économie des Etats-Unis soit si fortement touchée par cette crise montre qu’elle est en transition: à cause des dépenses excessives de leur politique extérieure, ils ont perdu leur rôle initial dans le commerce international. L’économie mondiale est désormais un jeu à cinq ou douze, et non pas à trois comme elle l’était au cours du XXe siècle. La situation dans laquelle les Etats-Unis et le monde se trouvent avec cette crise n’est pas surprenante. Mais ce n’est pas la fin de l’économie de marché.
JFB: Les institutions de Bretton Woods, notamment la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI), sont de plus en plus souvent critiqués à cause de leur incompétence dans la gestion des problèmes financiers. Est-ce qu’il est nécessaire de repenser et refondre le système monétaire mondial ?
P.A.B.: L’activité du FMI repose traditionnellement sur trois piliers. En premier lieu, il définit les règles du jeu dans un système monétaire international où le dollar a longtemps occupé une position centrale. Or le dollar perd désormais peu à peu son rôle de monnaie de réserve. En second lieu, il a un rôle de “gendarme” et soutient le système monétaire, mais sur ce terrain le FMI a perdu son importance il y a très longtemps. Depuis les années 80’ les transactions monétaires officielles constituent une partie négligeable des flux monétaires internationaux, parce que c’est majoritairement à travers le marché international de capitaux que l’argent circule. En troisième lieu, le FMI est une institution régulatrice, mais dans ce cadre, ses attributions sont dès le départ très limitées. Je pense qu’avec la crise actuelle tous les tabous sont tombés: il faut repenser le système que nous voulons avoir, se demander comment nous allons aider les pays défaillants et comment nous allons organiser la surveillance des marchés.
JFB: Pourquoi la Hongrie a-t-elle été plus fortement touchée par cette crise que ce à quoi l’on pouvait s’attendre ?
P.A.B.: Je dois avouer que j’ai été surpris par ce qui s’est passé. En tant qu’ex-président de la BNH j’ai accordé plusieurs entretiens à des journalistes étrangers et je leur ai toujours dit que, contrairement aux préoccupations du monde extérieur, la situation réelle de la Hongrie était assez stable. Le déficit que nous avons actuellement dans la balance des paiements est de 4 à 5% du PIB, mais ce n’est pas un cas extraordinaire en Europe: dans d’autres pays ce chiffre est supérieur à 10%. Or, pour une certaine raison, le jugement du marché financier a été beaucoup plus sévère que mon raisonnement optimiste. Notre situation est assez délicate parce que, d’une certaine façon, la Hongrie est un échec pour l’Union. Le déficit budgétaire de notre pays était abyssal entre 2004 et 2007 mais malgré cela, et en violant le pacte de stabilité et de croissance à plusieurs reprises, la Hongrie a pu accéder aux crédits supplémentaires dans de bonnes conditions, ce qui a conduit le pays à un grave endettement. Certaines lueurs auraient dû nous signaler qu’il y avait des lignes blanches à ne pas dépasser. Je vois deux explications à ce manque de vigilance: d’une part, les acteurs des marchés financiers pensaient que nous étions dans une “zone de défense” de l’Union, d’autre part, ils s’attendaient à ce que l’Union nous contraigne à une certaine discipline budgétaire, mais sur ce point ils avaient tort. L’Union a initié la procédure concernant les déficits excessifs contre la Hongrie en 2004 mais elle n’a pas envisagé de sanctions jusqu’en 2006. Les dirigeants européens n’ont pas été assez vigilants face au danger des tendances en Hongrie, ils n’ont pas vu que nos hommes d’Etat n’avaient tiré aucune leçon de leurs propres erreurs.
JFB: Il y a quelques semaines, la BNH a relevé son taux directeur de 3 points afin de protéger le forint de la vague spéculative. Cela révèle que la priorité est aux objectifs à court terme contre les intérêts à long terme. Jusqu’à quand la BNH pourra-t-elle maintenir son taux à un niveau aussi élevé ?
P.A.B.: Je vois une réaction de panique dans cette hausse du taux directeur, décision que la BNH a prise dans un état de contrainte. Elle ne pourra pas maintenir ce taux à moyen terme non plus.
JFB: Les marchés financiers semblent apaisés depuis que la BNH et le gouvernement ont annoncé leurs mesures.
P.A.B.: On ne peut pas estimer dans quel état les marchés se trouveraient actuellement si ces mesures n’avaient pas été prises au moment où le forint s’échangeait soudain à 286 forints pour un euro, et ce après avoir été très fort. A mon avis ce cours de change n’est d’ailleurs pas à ce point faible qu’il faille paniquer, surtout si l’on prend en considération que jusqu’en février dernier le cours moyen était déjà de 282 forints. Je considère que cette hausse du taux directeur est une mesure disproportionnée, d’autant plus que le taux hongrois était très élevé dans les rapports internationaux avant même cette hausse. D’autre part, il n’est pas simple de retourner à un niveau équilibré dans ces conditions tourmentées.
JFB: L’encadrement du crédit de 20 milliards d’euros que le FMI, l’Union européenne et la Banque mondiale ont ouvert pour la Hongrie est en grande partie de nature “stand-by”. Quelle possibilité voyez-vous pour que le gouvernement ne prélève pas ces sommes ?
P.A.B.: Déjà, il faut isoler 1,3 milliard d’euros dans cet encadrement de crédit parce que tel est le montant de l’investissement de la BNH, ce qui n’est pas de nature “stand-by”. Du reste, soit nous ne prélevons rien, soit au contraire, nous en retirons beaucoup. Si les acteurs du monde financier se calment, on n’aura pas besoin de prélever ces sommes, parce que dans ce cas-là les crédits actuels seront renouvelables. En observant l’endettement de l’Etat, des entreprises et de la population, je considère que c’est cette dernière qui a le plus de raisons d’être préoccupée à court terme, puisque d’une part l’affaiblissement du forint affecte toujours beaucoup les individus qui se sont endettés en devises étrangères mais, avec le taux actuel, ils seraient dans une situation encore plus difficile s’ils changeaient pour des crédits en forint. En 2009, les salaires réels vont probablement baisser en Hongrie, ce qui va freiner le crédit immobilier et automobile des banques et qui va aussi alléger la situation monétaire actuelle. La grande énigme de l’année 2009, pour moi, est que si nous ne prélevons pas ces crédits pendant les 17 mois au cours desquels nous en avons la possibilité, est-ce qu’il y aura une nouvelle période de crédit à partir de 2010 ou bien certaines réformes structurelles vont enfin se réaliser entre-temps ?
JFB: D’après certaines opinions, le gouvernement a demandé l’aide du FMI parce que l’Union ne l’a pas assez aidé.
P.A.B.: Si je voulais lancer une pique, je dirais que le FMI était content de pouvoir aider la Hongrie, car ces derniers temps il n’avait pas grand-chose à faire... En même temps, il faut savoir que la BCE a ouvert un encadrement de crédit de 5 milliards d’euros plus tôt pour venir en aide au système bancaire hongrois en difficulté de liquidité. L’Union n’a donc pas tardé mais elle considère probablement que c’est trop difficile d’alléger les problèmes financiers de tous les Etats membres. Il faut aussi voir les différences au niveau des procédures: selon nos expériences, le mécanisme de décision au sein du FMI est plus rapide et plus strict que celui de l’Europe qui fait plus confiance – de temps en temps naïvement – à l’autocorrection des nations.
JFB: Suite à la crise, le gouvernement a modifié ses pronostics et envisage désormais une récession de 1% pour 2009. Il a également annoncé la diminution des dépenses de 300 milliards de HUF dans le secteur public et au niveau des allocations sociales. 2009 s’annonce difficile. Quand et par quelles mesures peut-on espérer une amélioration ?
P.A.B.: Le gouvernement a présenté son troisième plan macroéconomique depuis le début du mois de septembre et j’ai le sentiment que celui-ci ne sera pas le dernier. En ce qui concerne la diminution des frais de 300 milliards, cette somme représente seulement 1% du PIB hongrois, ce n’est pas un montant énorme. Il est tout de même surprenant que le gouvernement ait remis en question son estimation de 2%, à mes yeux c’est un sacrifice trop important. Nous n’avons pas assez de connaissances pour pouvoir estimer la croissance de 2009. Il est certain que la population active a des fardeaux trop importants sur les épaules parce que le travail au noir et le nombre de retraités sont trop importants par rapport aux autres pays. C’est une situation qu’il faut changer le plus vite possible.
Anna Bajusz