Coup de coeur: "Le Bûcher" du romancier hongrois György Dragomán (1)

Coup de coeur: "Le Bûcher" du romancier hongrois György Dragomán (1)

György Dragomán.... Ce nom vous dit-il quelque chose? Probablement, pour peu que vous soyez un lecteur assidu au fait des nouveautés sorties en librairie.  Considéré par daucuns comme la figure la plus en vue de la littérature contemporaine hongroise, ce romancier est originaire de Transylanie (Marosvásárhely/Târgu Mureş). Ayant quitté la Roumanie à lâge de 15 ans pour sinstaller avec ses parents en Hongrie, il réside à Budapest où il a suivi des études supérieures de philosophie et de littérature contemporaine anglaise. Le départ de la famille (1988) a précédé dun an la chute du régime Ceaucescu.
 

Cest en 2002 qu‘il se fit remarquer avec un premier roman ("A pusztítás könyve", mot à mot "Le livre de l anéantissement"), couronné par la critique. Il avait alors 29 ans. Trois années plus tard parut son deuxième roman, "Le Roi blanc" (A fehér király)  qui, également primé, lui valut une consécration définitive tant en Hongrie que sur la scène internationale. Également loué par la critique, suivit un troisième roman,  "Le Bûcher"  (Máglya) publié en Hongrie en 2014 et sorti récemment en France dans une traduction de Joëlle Dufeuilly. C est ici, à lattention du lecteur francophone, de sa traduction que nous rendons compte. Outre son activité décrivain, Dragomán consacre le principal de son temps à la traduction décrivains de langue anglaise.

Voilà, en deux mots, pour lauteur. Le roman?  La trame, reprenant ici le résumé que nous en soumet léditeur: "La Roumanie vient tout juste de se libérer de son dictateur. Les portraits du camarade général ont été brûlés dans la cour de l’internat où Emma, treize ans, arrivée après la mort tragique de ses parents, cherche encore à s’orienter. Quand une inconnue se présente comme étant sa grand-mère, elle n’a d’autre choix que de la suivre dans sa ville natale. Cette femme étrange partage sa maison avec l’esprit de son mari défunt et pratique la sorcellerie. Mais Emma comprend vite qu’il y a d’autres raisons à l’accueil malveillant que lui réservent les habitants de la ville. Peu à peu, elle découvre les secrets de sa famille. Profondément traumatisée et compromise par l’histoire qu’a traversée son pays, sa grand-mère a utilisé les pouvoirs de la magie pour surmonter des décennies dominées par la peur, la manipulation et la terreur. Et c’est cette force-là qu’Emma tente à son tour de libérer en elle pour trouver sa place dans un monde de nouveau bouleversé. Avec Le bûcher, György Dragomán, grand talent de la littérature hongroise, emporte ses lecteurs dans l’univers poignant d’une jeune fille au courage extraordinaire, tout en nous confrontant à un héritage contemporain dont les plaies sont à peine refermées."

Pour compléter, nous citerons deux commentaires lus dans la presse :  „Le désastre roumain éclate à travers le récit fantastique et réaliste d’une jeune fille au sortir du communisme. Un grand roman juste, puissant, envoûtant.” (Antoine Peraud, La Croix). Ou encore :  „György Dragomán explore ici de façon obsédante l'ambiance singulière qui enveloppe les habitants, sorte de chape de plomb faite de mensonges, de secrets, de suspicion et de peurs après des années de régimes autoritaires” (Nicole Grundliger).

Au-delà de lhistoire proprement dite, c'est par le style et la richesse du vocabulaire que le livre nous a fascinés. Notamment par le choix de cette forme du monologue. La jeune Emma nous confiant – ou plutôt se confiant – toute la gamme de ses sentiments et impulsions, joies, déceptions, craintes, colères, le tout dans le langage d une jeune fille de 13 ans, spontané, clair, mais en même temps agrémenté dun vocabulaire riche et souvent savoureux. Le secret en réside peut-être également dans cette association d'un réalisme implacable (allant jusque dans le moindre détail) à une charmante touche de fantaisie, de rêve, voire de fantasme et de magie.

Pour terminer, laissons la parole à lécrivain lui-même. „C'est „ma” Roumanie, pas „la” Roumanie. Si vous cherchiez sur une carte, vous ne trouveriez pas. Je n'ai pas voulu écrire un livre historique. J'écris sur mon enfance, mais mon enfance réinventée. J'ai voulu écrire sur ce que je connaissais le mieux : mon village natal, parce que j'avais le mal du pays et que je ne pouvais pas y retourner. Mais je l'ai détruit et reconstruit à travers mes romans „(recueilli par Sophie Pujas, Le Point).

Avant de conclure, un mot sur la traductrice, Joëlle Dufeuilly, à qui nous devons un grand coup de chapeau. Pour avoir si bien su nous en restituer lambiance, mais aussi toute la richesse du texte, jusque dans la moindre expression. Il est vrai quelle nen est pas à ses premiers pas. Traductrice entre autres de László Krasznahorkai et Péter Esterházy, Joëlle Dufeuilly a reçu aux Assises d'Arles le Grand prix SGDL de traduction pour l'ensemble de ses travaux.

Un ouvrage vivement recommandé, donc.

Pierre Waline

(1): paru chez Gallimard, collection „Du monde entier” (527 pages)

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