Concert Mozart à Budapest : un auditoire envoûté lors d´une soirée qui fera date

Concert Mozart à Budapest : un auditoire envoûté lors d´une soirée qui fera date

Grande Messe en ut

Trois bonnes raisons de nous rendre à ce concert. Tout d´abord pour la présence de la jeune soprano hongroise Emőke Baráth que l´on peut considérer sans exagération comme l´une des plus accomplies non seulement sur la scène hongroise, mais sur la scène internationale. Deuxième raison : l´ensemble constitué par l´orchestre Orfeo et le chœur Purcell, l´une de nos formations favorites. Troisième raison, enfin, Mozart (tout de même !). Outre le plaisir d´entendre et réentendre sa musique sans jamais nous lasser, c´est ici l´une des deux œuvres inscrites au programme qui a été pour nous décisive : sa Grande Messe en ut mineur K427 (précédée de la symphonie Jupiter).

De la musique religieuse de Mozart, le public connaît surtout son Requiem et la Messe du Couronnement. Bien moins souvent jouée, la Grande Messe figure pourtant au rang de ses œuvres majeures. Messe que Mozart composa à l’époque de son mariage avec Konstanze Weber, alors qu´établi à Vienne, il venait de s´affranchir du Prince-Archévêque Colloredo. Elle répond à un voeu que le jeune Wolfgang avait formulé pour la guérison de sa fiancée alors gravement malade et pour la réalisation de leur hyménée. Elle fut donnée à Salzbourg lors d´un voyage destiné à présenter Konstanze à son père. C´est elle qui y tenait la partie de soprano. Il s´agit d´une œuvre inachevée (y manquent la seconde moitié du Credo et tout l´Agnus Dei). On ignore pour quelle raison, nombre de spéculations plus ou moins fantaisistes ayant été avancées sur le sujet. Peu importe, car, même en l´état, on peut y voir, avec le Requiem - également inachevé - l’un des deux sommets de sa musique religieuse. Requiem avec lequel elle présente d´ailleurs quelques ressemblances (cf. les premières mesures du Kyrie).

Pour la première fois composée de son plein gré, librement et non sur commande, la Messe en ut fourmille d´ innovations par rapport à ses compositions précédentes. Tout d´abord par l´influence de Bach que le jeune Mozart venait précisément de découvrir et d´étudier. Notamment par son style contrapuntique et le recours à la fugue. Forte influence également de Haendel dont Mozart connaissait les oratorios (1). Autre nouveauté : la dimension de l´orchestre, élargi, notamment du côté des vents. Une particularité, enfin : le traitement de certains passages comme de véritables arias confiés à la soprano (Konstanze oblige !). Tel le Laudamus te du Gloria ou encore le fameux Et incarnatus est du Credo.

Pour compenser l´absence de certaines parties, l´usage, déjà pratiqué à l´époque, est parfois de les combler par l´apport de parties reprises d´autres messes. Pratique pour le moins contestable. Fort heureusement, l´interprétation qui nous en fut donnée ce soir respectait la partition sans ces ajouts.

De la symphonie Jupiter, donnée en première partie du concert, nous n´avons pas grand-chose à dire, tant elle est rebattue. Composée six ans après la Grande Messe dans la tonalité d´ut majeur, elle est la dernière que nous ait laissé Mozart. Elle débute par un allegro majestueux, solennel, au sein duquel vient s´insérer un thème léger et dansant bienvenu pour contrebalancer la solennité du reste. Suit un andante cantabile qui, par son atmosphère sereine et retenue (sans trompettes ni timbales) contraste de façon heureuse avec l´allegro initial. Viennent enfin un menuet et un allegro (molto allegro) de structure assez classique, allegro où se retrouve le contrepoint, pour se terminer dans une apothéose triomphale. D´où lui vient cette appellation de Jupiter ? Elle remonterait – selon un témoignage du fils de Mozart - à la fin des années 1820 et lui aurait été attribuée par un certain Salomon, organisateur de concerts à Londres. Considérée comme la plus accomplie des symphonies de Mozart. Certes, mais pas forcément la plus charmante (du moins à nos oreilles, lui préférant la 40ème en Sol mineur ou encore la symphonie de Prague). Car - que les inconditionnels nous pardonnent - si l´on n´y prend garde, elle pourrait offrir à l´audition une certaine impression de lourdeur. Pour éviter cela, l´orchestre Orfeo, jouant sur instruments d´époque, nous paraissait représenter a priori un choix idéal. Qu´en fut-il donc ?

Un choix idéal ? Effectivement. Allant même au-delà de nos attentes : clarté, transparence, pureté des timbres. Vashegyi et sa formation nous ont servi une interprétation de cette symphonie comme peu souvent nous l´avions entendue auparavant. Servie par un orchestre en formation légère où chaque pupitre, au lieu de se noyer dans la masse, sonnait de façon étonnamment claire. Avec une mention spéciale pour le rang des bois et les timbales. Seule contrepartie : par moments une légère impression de sécheresse dans les attaques (allegro initial). Mais ce fut dans l´ensemble une forte belle interprétation.

Quant à la Grande Messe en ut - temps fort de la soirée - le chef, ses musiciens et chanteurs nous en offrirent une interprétation tout bonnement magistrale. De l´orchestre, du chœur ou des solistes (du moins les deux femmes), nous ne savons qui louer le plus. Tous. Le chœur, tout d´abord : clarté, pureté des voix, parfaite diction et cette capacité à passer sans transition du forte au pianissimo, comme dans le Miserere du Qui tollis (Gloria).  Quant aux solistes (deux sopranos, un ténor, une basse), c´est avant tout aux deux sopranos que s´adressent nos louanges. Se complétant admirablement : l´une, Emőke Baráth, soprano légère parfaitement à l´aise dans les aigus ; l´autre, Katalin Szutrély, au timbre plus proche de la voix mezzo. De la première, Emőke Baráth, nous avons déjà suffisamment vanté les qualités par le passé pour ne plus y revenir. Notamment cette incroyable pureté du timbre et cette aptitude à tenir – avec quelle aisance ! - dans les aigus les plus élevés tout en maîtrisant les notes les plus basses. Une large tessiture agrémentée d´une grande expressivité, mais toujours en finesse, sans excès. Bref, une grande cantatrice dont on reparlera et dont on commence déjà à parler sur la scène internationale (2). Sans oublier sa partenaire Katalin Szutrély, également irréprochable. Face à cela, nous avons senti les hommes légèrement en retrait, notamment le ténor Zoltán Megyesi, au beau timbre, il est vrai, mais à la voix couverte par celles de ses deux voisines. Quant à la basse Lóránt Najbauer, son intervention (unique) est trop limitée pour que nous puissions porter un jugement à son égard.

Dans l´ensemble, une interprétation qui a su hisser cette messe de Mozart à son véritable niveau, celui d´une œuvre majeure. Au point que dans certains passages, nous ne pouvions nous empêcher de la rapprocher de la Messe en Si de Bach, ce qui n´est pas peu dire...

Cela fait plusieurs années que nous suivons ces deux formations fondées et dirigées par György Vashegyi (3). Des formations en constant progrès au point que l´on peut désormais les considérer sans ridicule parmi les toutes premières dans leur genre non seulement en Hongrie, mais sur la scène européenne.

Opinion probablement partagée par le public qui n´a pas ménagé ses applaudissements et rappels dans une salle comble, visiblement sous le charme et retenant sa respiration. Une belle soirée qui figurera sans conteste parmi les temps forts de la saison.

Pierre Waline

(1): Tel le Qui tollis du Gloria qui serait inspiré d´un choeur de Jephta (Vashegyi)

(2): Paradoxalement plus sollicitée à l´étranger qu´en Hongrie, Emőke Baráth vient de passer un contrat avec la firme Erato.

(3): Sur le chef Vashegyi, un détail qui intéressera probablement le lecteur francophone: féru de musique baroque française dont il s´est fait le spécialiste, György Vashegyi effectue, en liaison avec le Centre de Musique baroque de Versailles, des recherches approfondies pour sortir de l´ombre et faire connaître au grand public des compositeurs français du Grand Siècle jusque là pratiquement méconnus.

Photo 1 : Emőke Baráth

Photo 2 : Konztanze

 

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