Concert Hélène Grimaud à Budapest : les Hongrois sous le charme
S’il est une artiste dont la personnalité sort du commun, c’est bien elle. Hélène Grimaud est connue pour des traits de son caractère parfois suprenants - telle cette phobie de l’asymétrie - et son fort tempérament. D’aucuns la comparent à Glenn Gould dont on sait les caprices. Même s’il lui est arrivé d’annuler des concerts suite à des différends avec un chef (1), la comparaison me semble outrée. Ne serait-ce qu’en raison de son physique, ainsi que du charme et du charisme qui émanent de sa personne. Mais c’est probablement, au-delà de son immense talent, par une autre particularité que la belle Hélène Grimaud s’est fait remarquer: sa passion, son amour pour les loups. Une espèce qu’elle a su apprivoiser et dont elle s’est faite de par le monde l’ardente avocate (2). D’où la question que je me suis posée, apprenant sa venue à Budapest: lui sera-t’il aussi aisé d’apprivoiser le public magyar? La réponse: oui. Et pourtant, la tâche n’était pas a priori si aisée...
La rencontre se produisit lors d’un récent concert donné à Budapest, dix ans après sa première et unique apparition dans la capitale hongroise (3). Au programme: les concertos BWV 1052 de Bach et K 466 de Mozart (le 20ème), tous deux en ré mineur. Accompagnée par l’orchestre de chambre de Bâle qui nous interpréta également le concerto pour orchestre de chambre „Dumbarton Oaks” de Stravinsky et la symphonie classique de Prokofiev.
Une bien belle soirée donnée au Palais des Arts (Müpa) devant une salle comble. Comble .. et apparemment comblée à en juger par les longs applaudissements qui clôturèrent la soirée, ponctuée de deux bis.
La première partie, introduite par une charmante interprétation de la pièce orchestrale de Stravinsky, fut consacrée au concerto en ré de Bach. Ici, au contraire de se produire en „soliste”, Hélène Grimaud joua sa partition en se fondant dans l’orchestre. Ce qui pouvait se sentir dès l’entrée en scène où elle arriva sans se faire remarquer, au milieu des musiciens. Un choix bien venu pour jouer Bach. De plus, joué tout en finesse, la pianiste, discrète, mais juste ce qu’il faut, nous comblant d’un jeu tout en nuances.
Tout allait changer avec la reprise du concert après l’entracte. En effet, l’interprétation que nous offrit l’orchestre de la symphonie classique de Prokofiev me parut par trop „énergique”, du moins à mon goût. D’emblée, le coup de timbale par lequel débute l’œuvre me fit presque sursauter de mon fauteuil. Excellent pour éviter les assoupissements, certes, mais peu indiqué pour une œuvre empreinte de légèreté et de charme. A se demander si ledit timbalier n’a pas abusé de boissons énergétiques durant la pause... Puis vint la pièce de résistance, le 20ème de Mozart. Une œuvre à la tonalité de ré mineur qui se distingue des autres concertos par son ton sombre et tragique, du moins dans son premier mouvement. Pour le coup, contrairement à mon attente, Hélène Grimaud nous en servit une interprétation, non pas sombre, mais au contraire claire, presque lumineuse. Phénomène qui n’est pas rare chez les musiciens (ex.: Liszt, Sibelius, Messiaen): Hélène Grimaud associe musique et couleurs. Cette œuvre qui m’évoquait plutôt jusqu’ici des tonalités grises (sans que cela n’ait rien de péjoratif), me parut ici davantage donner dans des tons clairs (orange). Le temps fort fut cette magistrale interprétation de la cadence qui ponctue le premier mouvement, dont la qualité me fit oublier le reste, me croyant assister à un récital de piano à part entière.
Un beau concert avec un orchestre de chambre sans chef mais mené par son premier violon, „Konzertmeister” ou plutôt „Konzertmeisterin”, s’agissant d’une femme charmante avec laquelle la soliste sembla en parfaite entente.
Il faut dire que soliste et orchestre étaient bien rôdés, vu que le même programme aura été donné à six reprises dans six villes et pays différents en deux semaines (Wrocław - Breslau - l’avant-veille et Istanboul le surlendemain..). Un grand coup de chapeau au passage pour cette autre performance: arriver à tenir en jouant un jour sur deux et en voyageant l’autre journée. Vraisemblablement à chaque fois devant une salle comble!
Pierre Waline
(1): concert annulé suite à un différend avec Claudio Abbado quant au choix de la cadence pour un concerto de Mozart (ce en quoi je donnerais plutôt raison à la pianiste qui me semble avoir son mot à dire sur ce qu’elle joue). Différend qui n’entama pas leur longue et fructueuse collaboration.
(2): telle la création aux Etats Unis d’une fondation pour la sauvegarde des loups avec un parc très visité (Wolf Conservation Center, Etat de New York)
(3): concert donné en septembre 2005 avec le concerto en la mineur de Schumann.
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