Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?
Rencontre avec Pierre Bayard à Budapest
Ce livre a connu un énorme succès en France et son auteur, Pierre Bayard, professeur de littérature française et psychanalyste, ne cesse de surprendre son auditoire réuni dans l’Amphithéâtre de l’Institut Français à l’occasion de la parution de l’édition hongroise présentée par l’historienne littéraire Ilona Kovács.
Un sujet d’érudit présenté avec passion et humour. Pierre Bayard nous libère de certains tabous liés à la lecture. Il remarque que l’accueil de son livre fut en général très bon, en France comme dans d’autres pays, excepté auprès de quelques personnes qui ont pris tous ses propos au premier degré… «Le livre est raconté par un personnage de fiction qui me ressemble mais qui n’est pas moi, puisque le personnage commence le livre en disant qu’il ne lit plus, qu’il déteste lire. Ce n’est pas du tout mon cas, donc il faut prendre ce que je dis aussi avec un certain humour et une certaine distance» , a-t-il expliqué.
Effectivement, en évoquant – avec beaucoup d’humour – la réception différente de sujets très connus suivant différentes régions il a immédiatement séduit son public à Budapest. Il a défendu l’idée qu’il n’y a pas qu’un seul trajet de lecture possible – celui que l’on enseigne à l’école. Il a réussi à démontrer qu’il y avait une multitude d’autres manières de lire, d’autres promenades à mener à travers la littérature. Il y aura des livres parcourus et des livres dont on a simplement entendu parler et même des livres que l’on oublie. Il a répertorié les différentes catégories de non-lecture avec ironie ; car son but n’est pas du tout de dissuader les lecteurs de lire, mais plutôt de les encourager. Que cela se passe dans une librairie ou à la bibliothèque, on peut bien lire tout le livre ou bien l’abandonner ou simplement ne pas le finir tout de suite. Tous ces chemins de lecture sont aussi respectables que le chemin que l’on enseigne à l’école. Pierre Bayard a rencontré des lecteurs déculpabilisés – qui n’ont peut-être pas lu tous les livres obligatoires à l’école. A l’époque de la concurrence des autres médias, l’idée de ce livre est particulièrement importante. Ne pas décourager le lecteur potentiel de lire, même si – pour diverses raisons – il n’arrive pas à lire les livres en entier. Car il existe tellement de livres que si l’on veut s’organiser en tant que lecteur, il faut être capable de bien choisir. En cela le livre est comme un être vivant dont on peut tomber amoureux – mais il faut pour cela avoir le choix entre les différentes personnes. Pierre Bayard a aussi une approche de psychanalyste par rapport aux lecteurs. Il avance la notion de livre intérieur en parlant d’un livre écran sur le modèle freudien du souvenir écran. Comme Freud évoque les souvenirs de notre enfance auxquels nous sommes attachés et montre que ces souvenirs sont souvent recomposés après coup, des souvenirs imaginaires. L’auteur pense que très souvent nous ne parlons pas vraiment des livres mais nous parlons des livres imaginaires que nous avons transformés. Et toute la grande littérature y passe, de Stendhal à Oscar Wilde jusqu’à Romain Gary – ce dernier apparaît d’ailleurs dans un autre livre de Pierre Bayard : Il était deux fois Romain Gary – toujours en compagnie de ce brillant auteur .
Éva Vámos
Pierre Bayard : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Ed. de Minuit Paris, 2007
Pierre Bayard : Hogyan beszélgessünk olyan könyvekrôl, amelyeket nem olvastunk ?
Traduit par Kovács Ilona et Boros Krisztina, Postface Kovács Ilona,
Lazi Könyvkiadó, 2007.
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