Comme un canapé !
L’art d’aimer d’Emmanuel Mouret
L’art d’aimer est une comédie sentimentale d’Emmanuel Mouret qui vient de sortir dans les salles de cinéma hongroises. A cette occasion, le réalisateur s’est déplacé à Budapest pour présenter son film. Nous sommes allés à la rencontre de ce réalisateur qui fait rimer humour avec amour.
JFB : Vous avez commencé très jeune à réaliser des courts-métrage, 19 ans. Pourquoi cette passion pour le cinéma ?
Emmanuel Mouret : Certainement parce qu’enfant j’en ai été privé. Il n’y avait pas de télé à la maison et mes parents ne s’intéressaient pas au cinéma. Or, on sait que le manque crée l’envie. Le cinéma est une expérience merveilleuse et cette privation l’a rendu encore plus merveilleuse. C’était une lubie. Il n’a rien de rationnel dans cette envie. A chaque période ensuite, j’ai pioché des choses différentes dans le cinéma. Par exemple, c’était un moment où je pouvais voir des femmes dans leur intimité, apprécier leurs relations avec les hommes.
JFB : Vous jouez aussi dans vos films. Dans l’art d’aimer, vous êtes Louis. Votre but premier était-il d’être réalisateur ou acteur ?
E.M. : J’ai toujours voulu être réalisateur. J’ai été comédien par hasard. J'ai suivi en effet des cours d'art dramatique car, sur mon premier court-métrage, j'avais été dépassé par la relation aux comédiens. Je voyais donc cette formation d'acteur comme une aide précieuse. Et j'y ai énormément appris. Mais ma première apparition dans Promène-toi donc tout nu s'est faite un peu par défaut. J'étais encore à la fondation (Femis) et, comme il y a peu de connexion avec les comédiens, j'ai décidé de jouer le rôle principal. Dans la foulée, Philippe Martin a été d'accord pour produire mon premier long, Laissons Lucie faire si je jouais dedans.
JFB : Quels sont vos réalisateurs fétiches ?
E.M. : Il y en a beaucoup, mais j’ai principalement de l’admiration pour Jacques Tati, Woody Allen, Sacha Guitry. J’ai grandi avec ces cinéastes. Hans Lubitsch est également un des plus grands cinéastes de son temps. Ce réalisateur avait, me semble-t-il des origines hongroises. D’ailleurs son film The shop around the corner se passe à Budapest.
JFB : Pourquoi jouez-vous le personnage de Louis dans L’art d’aimer qui subit une défaite amoureuse ?
E.M. : J’aime les personnages très épris. Le personnage de Louis fait écho avec celui de Jean-Jacques dans Fais-moi plaisir, mon film précédent. A chaque fois qu’il saisit l’objet de son désir, celui-ci lui glisse entre les doigts !
JFB Le désir, la rêverie, le fantasme sont-ils le fil conducteur de vos films ?
E.M. : Oui beaucoup de mes histoires ont pour point de départ un fantasme. Il est à la naissance même de mes récits. Dans L’art d’aimer, c’est le noir d’une chambre avec un inconnu, sans bruits, c’est une femme qui propose à sa meilleure amie de lui prêter son compagnon, c’est une voisine de palier qui frappe à votre porte en nuisette et vous propose de vivre une aventure, le fantasme aussi d’être un couple libre. A maintes reprises, c’est vrai, le film s’amuse avec ces fantasmes. Mais je mets dans mes films ce principe à l’épreuve de la réalité car rien ne se passe comme on l’attend ou comme on le souhaite.
JFB : Y a-t-il un lien entre vos films et le théâtre ?
E.M. : A vrai dire, je ne suis pas un grand connaisseur de théâtre. Je ne pense pas et ne souhaite pas faire référence au théâtre quand je fais mes films, mais historiquement, ça s’inscrit dans une tradition de comédie de dialogues.
JFB : Vos films tournent-il autour de la femme ? Avez-vous vos actrices fétiches ?
E.M. : Dans mon désir de faire du cinéma, il y a cette envie d'écrire des personnages féminins dont on tombe amoureux et de voir de près des femmes désirables par leur beauté, leur personnalité et leur intelligence. Je m'exprime, en tout cas, mieux à travers un personnage féminin. Car ils sont chez moi moteurs, s'expriment plus ouvertement et peuvent évoluer dans leurs opinions. Comme actrice, on retrouve effectivement Frédérique, mais aussi Judith Godrèche, Ariane Ascaride.
JFB : Le dernier casting fait apparaître principalement des acteurs connus ? Est-ce un choix?
E.M. : Non. Notre intention au départ était de faire un film avec des inconnus. J’ai pensé au début à des personnages que je connaissais . De fil en aiguille, j’ai reçu des propositions d’acteurs que j’aimais, mais ce nétait pas à la base mon intention. Gaspard Ulliel par exemple s’est présenté au casting et il était très bien. J’avais aussi envie de jouer depuis longtemps avec François Cluzet. Pour Julie Depardieu, je la voyais bien faire le pendant avec Judith Godrèche.
JFB : L’art d’aimer commence sur une note musicale. Quel est votre rapport à la musique dans vos films?
E.M. : Effectivement, le prologue du film est évocateur puisqu’il commence par «il n’y a pas d’amour sans musique». Le début du film raconte l’histoire d’un compositeur qui cherche la musique idéale, qui l’attend. Le mariage entre musique et image est difficile à maîtriser. Avec le monteur, on essaie beaucoup de musique avant de trouver la bonne. J’ai beaucoup de mal à m’arrêter sur un morceau en particulier.
JFB : Considérez vous faire des films «made in France» ?
E.M.: C’est étrange car les journalistes français me disent que mes films sont à part dans le paysage cinématographique français et les journalistes étrangers disent que mes films sont typiquement français. Vous avouerez que c’est un peu contradictoire, mais probablement pas faux non plus !
JFB : Dans la plupart de vos films l’action se déroule à Paris. Ne souhaiteriez-vous pas délocaliser le prochain film ? A Budapest ?
E.M. : Pourquoi pas, ça me plairait !
JFB : La comédie sentimentale est-elle votre créneau ? Pensez-vous rester sur ce registre?
E.M. : Je n’ai pas de vision arrêtée. Le prochain film sera plus dramatique.
JFB : Que souhaitez vous transmettre à travers vos films ?
E.M. : Le peintre Mathis a dit un jour qu’il souhaitait que «ses tableaux soient comme des canapés». Il n’est pas toujours indispensable d’éveiller les consciences, de lancer des messages. Je reprendrais bien cette phrase à mon compte. Dans un canapé, on peut mieux philosopher qu’en recevant une gifle. Mon film ne porte pas de message particulier mais il n’empêche que tout un chacun peut y promener ses pensées, de la même manière qu’avec la musique. La profondeur n’est pas liée à un message mais elle est dans la forme, l’élégance.
“L'art d'aimer” d'Emmanuel Mouret, dans toutes les salles hongroises à partir du 9 février. En v.o. sous -titré en hongrois.
Gwenaëlle Thomas