Cinétrip sulfureux aux bains Rudas

Cinétrip sulfureux aux bains Rudas

Budapest Parcours

Par Emmanuelle Sacchet

Image retirée.

Budapest parcours aime à nocer la saint Sylvestre dans les derniers endroits où l’on cause, voire où l’on danse. Il était légitime cette fois de repousser jusqu’au premier soir de l’an 008 pour se fondre dans l’antre aquatique des bains turcs Rudas, transformés en monument bouillonnant de la musique électronique. Oyez oyez bonnes gens, qu’on se le dise avec joie, les soirées Cinetrip reprennent du poil mouillé de la bête ! Pour leur dixième anniversaire de surcroît. Cela faisait bien trois ans, depuis la fermeture pour rénovation des bains Rudas, que l’on n’entendait plus parler de ces soirées exceptionnelles... Mais que sont-elles ?

Voici vaguement comment les choses se sont passées ce soir-là…

Oubliées les 38 minutes d’attente dans la neige, le parcours de santé à 5000 huf vaut résolument le déplacement. Tout est parfaitement huilé, frisant la perfection. De jeunes déesses en peignoir logotypé Cinetrip party (qu’on lira 10 000 fois dans la soirée) m’enlacent d’un bracelet ouvrant les portes du vestiaire 365, fermé par la bienveillance d’une gardienne moustachue des plus sympathiques. Puis, c’est le plongeon dans le temple du sound and light ! De toutes parts, des écrans projettent des univers graphiques colorés, des lasers fendent l’air embué qui les transforme en volutes au rythme de quatre différents dance floors. La musique semble sortir des murs, amplifiée avec plus ou moins de bonheur par les recoins alambiqués des différents bassins.

Le bar musical de l’entrée est très amusant car il mixe les noceurs en maillots de bain et ceux qui préfèrent rester en habit. Mais attention, au-delà de cette limite, votre ticket suppose le port du maillot obligatoire. Et c’est sans transition, mais avec force détours dans les méandres des vestiaires luxe, que l’on se retrouve dans un espace de détente à l’ambiance disco genre films américains seventies, orchestrée par D.J HAZE. Le bar propose de grands cocktails en “AKCIÓ” préparés à même le petit seau en plastique de nos vacances à la mer où chacun plante sa paille. Côté piscine, en haut des immenses colonnades, le D.J trône en roi, observant et inter réagissant avec ses sujets flottants, jouant au ballon au milieu des bouées géantes et des immenses coussins transparents. Les fameuses projections des films d’art et d’essai d’autrefois semblent avoir été troquées - dommage - contre des panneaux lumineux ambiance clips universels. Qu’importe, la musique est seule reine. L’extase est même perceptible quand D.J Palotai arrive aux platines. C’est électrique, on frise le court-circuit !

A l’opposé de la Rave party de la piscine, les bains les plus anciens évoquent un rêve. Ce qui apparaît la raison d’être de ces lieux est forcément le bain turc octogonal. Habituellement c’est déjà un choc culturel de se baigner dans cette architecture XVIème siècle. La soirée anachronique surenchérit de son ambiance des plus magique, moite et feutrée où l’on se trémousse au ralenti dans l’eau sulfureuse, au rythme d’autres D.J ensorceleurs. Les tissus colorés pendant aux alcôves orientales et l’éclairage étudié nous transportent illico dans les mille et une nuits. Le mélange des senteurs entremêlent les parfums synthétiques et corporels, les effluves de souffre et les dispersions de fumées odorantes, à l’heure pile où la France vit l’interdiction de minuit qu’on lui connaît dans les lieux publics ! Soudain, une danseuse de Bali se détache des vapeurs bienfaisantes dans une gestuelle à la lenteur hypnotique. Elle achève de conférer au lieu son aspect de débauche romaine. Le spectacle est total.

C’est une bonne nouvelle : que les gens semblent heureux, beaux et, ce, à tout âge ! Les corps embués se fondent et se ressemblent, avec la même pochette plastique étanche reçue à l’entrée. Chacun y a mis ce qui lui semblait le plus nécessaire ou le plus précieux. C’est par le contenu de ces petits carrés transparents qu’il faudra s’amuser à dissocier ces baigneurs nocturnes. Les visages sérieux des billets de banque flottent immanquablement au ras de l’eau, ce cher Rakóczi en tête dont la face débonnaire semble être le plus dans son élément. Semi cachés aussi sont les téléphones, appareils photo interdits, gouttes pour les yeux, le nez, mouchoirs, clés diverses, montres, rouges à lèvres, cartes de visite, chewing-gum, bijoux, boules fluorescentes volées à la déco… La peau nue de circonstance offre aussi le festival des images encrées ; les Hongrois et les touristes aiment à sortir du flot avec leurs tatouages.

Il serait injuste de quitter les bains sans évoquer le César de ces lieux, le monsieur Loyal aux manettes de tout ce joyeux cirque électronique grâce à qui Budapest a découvert un nouveau sens de la fête qu’on lui envie dans toute l’Europe. Encore un László ! dit Laki Lu Space Devil. DJ. au fameux café Tilos az Á en 1990, membre fondateur de la radio pirate Tilos en 1996, il organise des projections en plein air dans le jardin de sa maisonnette d’été nichée à Tündérhegy. A la recherche d’un cinéma introuvable, Laki Lu investit les bains Rudas avec son équipe d’artistes et DJ. en projetant des vieux films muets soviétiques et balançant des « ray-painting » sur la coupole ottomane. Cinétrip est fondé, devenant le premier cinéma techno-aquatique, rapidement connu du monde entier. Il fonde en 2000 la Cinétrip Visual Brigade avec qui il partira en tournée à l’étranger en s’associant avec le groupe BeshOdrom. Après un passage notamment au Royal Festival Hall de Londres ainsi qu’à différents festivals de rock européens, c’est donc légitimement que Budapest renoue aujourd’hui avec les Cinétrip de son enfant terrible à la belle quarantaine.

Pas de fausse note donc, l’entrée dans 2008 est des plus voluptueuses et bonne enfant. Exceptée l’insouciante qui a volé nos claquettes roses chinées sur le marché de Mexico. Vous les retrouverez peut-être à la prochaine grand-messe électronique, qui sait !?

www.cinetrip.hu.

budapestparcours@yahoo.fr

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